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9 août 2017Lettres et allocutions

Lettre au directeur des affaires institutionnelles et des communications de l'École nationale de police du Québec

Voici les commentaires de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse sur le Projet de règlement - Règlement modifiant le Règlement sur le régime des études de l’École nationale de police du Québec.​


Le 21 juillet 2017

Monsieur Pierre St-Antoine
Directeur des affaires institutionnelles et des communications
École nationale de police du Québec
350, rue Marguerite-d’Youville
Nicolet (Québec) J3T 1X4


Objet : Projet de règlement - Règlement modifiant le Règlement sur le régimedes études de l’École nationale de police du Québec

Monsieur le Directeur,

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (ci-après« Commission ») a pour mission d’assurer le respect et la promotion des principes énoncés à la Charte des droits et libertés de la personne1 (ci-après « Charte »). Elle assure aussi la protection de l’intérêt de l’enfant, ainsi que le respect et la promotion des droits qui lui sont reconnus par la Loi sur la protection de la jeunesse2. Elle veille également à l’application de la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans les organismes publics3.

En application du mandat qui nous incombe en vertu de la Charte, nous avons pris connaissance du plus récent projet de Règlement modifiant le règlement sur le régime des études de l’École nationale de police du Québec4, lequel introduit, entre autres, un nouveau questionnaire médical destiné aux candidates et candidats à la formation offerte par l’École nationale de police du Québec5.

Nous notons d’abord avec satisfaction que ce nouveau questionnaire tient compte de certaines des observations que nous vous avions fait parvenir dans une lettre datée du 26 mars 2015 à l’égard du projet de questionnaire publié à la Gazette officielle du Québec du 25 février 20156. Ainsi, les questions portant sur la grossesse et sur l’état de santé des père, mère, frères et soeurs des candidates et candidats ont été retirées.

Nous sommes cependant d’avis que, dans son état actuel, le projet de questionnaire demeure attentatoire au droit à la sauvegarde de la dignité7, au droit au respect de la vie privée8 et au droit à l'égalité9 des candidates et candidats.

Pour mémoire, la Cour d’appel a reconnu que l’admission à l’École nationale de police du Québec fait partie du processus d’embauche dans un corps de police et qu’elle est donc soumise aux dispositions de la Charte qui interdisent la discrimination en embauche fondée sur les antécédents judiciaires :

« Dès lors, si l'École a l'exclusivité de la formation policière, que l'accessibilité à un corps de police est assujettie à l'acquisition du diplôme conféré par l'École et qu'enfin, les conditions de l'accessibilité à l'École sont soumises aux mêmes règles minimales que celles applicables en vue de l’emploi, il s'ensuit un lien explicite, continu et nécessaire entre l'embauche et l'accès à la formation. La conséquence logique de cette situation, créée par la loi, est l'obligation d'interpréter les exigences d'entrée à l'École de la même manière que celles de l'emploi dans un corps de police. Toute autre solution signifierait la stérilisation de l'article 18.2 de la Charte tel qu'interprété par la Cour suprême. [...]

Il ne s'agit pas ici de contourner l'article 18.2 de la Charte conçu pour s'appliquer dans le cadre de l'emploi, mais de reconnaître pue la loi a créé pour les policiers un régime si intégré qu'il faille considérer l'admission à l'École comme une forme de préembauche. En somme, c'est pour donner àla Charte et à la décision dans Montréal (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne et de la Jeunesse) leur pleine interprétation que l'on doit reconnaître l'application de l'article 18.2 de la Charte au candidat à l'admission à l'École nationale de police de Québec et, en l'espèce, à l'intimé. »10. (Nous soulignons.)

La Charte interdit spécifiquement à l’employeur de discriminer dans un processusd’embauche11. Elle régit également la conduite de l’employeur lors de la sélection de son personnel :

« 18.1. Nul ne peut, dans un formulaire de demande d’emploi ou lors d’une entrevue relative à un emploi, requérir d’une personne des renseignements sur les motifs visés dans l’article 10 sauf si ces renseignements sont utiles à l’application de l’article 20 ou à l’application d’un programme d’accès à l’égalité existant au moment de la demande. »12

Le seul fait de poser une question en lien avec un motif énoncé à l’article 10 de la Charte suffit pour entraîner une violation du droit garanti par l’article 18.113. Il n’est donc pas nécessaire que la réponse à la question ait entraîné un refus d’embauche, ou en l’espèce, un refus d’admission, pour être considérée comme discriminatoire14.

Les questions concernant l’état de santé d’un candidat ou d’une candidate sont reliées au motif de discrimination prohibé que constitue le « handicap ». Elles sont donc présumées discriminatoires. Un employeur pourra cependant justifier une question à première vue discriminatoire s’il démontre qu’elle réfère à des qualités ou des aptitudes requises par un emploi15. Or, il revient à l’employeur ou en l’espèce, l’École nationale de police du Québec, de démontrer, selon la prépondérance de probabilités, que les renseignements demandés sont en lien avec une qualité ou une aptitude requise16. En outre, le droit d’obtenir des informations est « modulé en fonction de l’emploi convoité et des tâches à accomplir »17. Ce droit se limite aux compétences et exigences essentielles permettant d’assurer minimalement l’exécution sûre et efficace du travail18.

En l’occurrence, le questionnaire médical proposé dans le projet de règlement comporte plusieurs questions qui sont à première vue discriminatoires et qui ne présentent pas de lien rationnel et proportionnel apparent avec une qualité ou une aptitude requise pour effectuer leur formation.

En effet, les questions sur l’état de santé sont trop étendues pour viser une aptitude ou une compétence spécifique et ne comportent pas de limite dans le temps. Elles sont donc susceptibles d’amener la candidate ou le candidat à révéler des informations médicales sans lien avec le travail et d’écarter des personnes aptes à occuper les fonctions visées par la formation.

En outre, sous réserve de la démonstration de leur justification en vertu de la Charte, certaines informations recherchées par le questionnaire pourraient être mieux circonscrites et définitivement mieux évaluées par les tests d’aptitudes physiques, psychométriques et situationnels dont l’administration est prévue par le Règlement sur le régime des études de l’École nationale de police du Québec19.

Rappelons qu’un questionnaire médical pré-embauche ne doit pas servir « à embaucher un candidat en pleine santé qui présente le moins de risque d’absentéisme »20, ni avoir pour intention de mesurer l’assurabilité de la candidate ou du candidat. L’objectif d'admettre que les candidates et candidats qui ne souffrent d’aucune affection est contraire aux dispositions de la Charte et contrevient aux droits et libertés qui y sont garantis.

En conséquence, l’annexe D doit être de nouveau reformulée de façon à se conformer aux dispositions de la Charte. Nous vous invitons à consulter l’avis adopté par la Commission en 2016 pour vous guider dans votre démarche21.

Nous demeurons à votre disposition pour toute question relative à la présente.

Recevez, Monsieur le Directeur, l’expression de ma considération distinguée.

Me Tamara Thermitus, Ad. E.
Présidente


1 RLRQ, c. C-12.
2 RLRQ, c. P-34.1.
3 RLRQ, c. A-2.01.
4 (2017) 149 G.O. 11, 2467.
5 Id., art. 4.
6 Règlement modifiant le Règlement sur le régime des études de l'École nationale de police du Québec (projet), (2015) 147 G.O. Il, 360.
7 Charte, préc., note 1, art. 4.
8 Id., art. 5.
9 Id., art. 10 et 18.1.
10 École nationale de police du Québec, c. Robert, 2009 QCCA 1557, par. 23-24.
11 Charte, préc., note 1, art. 10 et 16.
12 Id., art. 18.1.
13 Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du coeur du Québec(SIIIACQ) c. Centre hospitalier de Trois-Rivières, 2012 QCCA 1867, par. 64.
14 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Systématix, technologiede l’information inc., 2010 QCTDP 18.
15 Charte, préc., note 1, art. 20.
16 Brossard c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 271, par. 66;Colombie-Britannique (Public Service Employée Relations Commissions) c. BCGSEU, [1999] 3R.C.S. 3, par. 19.
17 Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du coeur du Québec(SIIIACQ) c. Centre hospitalier de Trois-Rivières, préc., note 13, par. 63.
18 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, c. Gaz Métropolitain, 2008QCTDP 24, par. 72 et s. (confirmée en appel : Gaz Métropolitain c. Commission des droits de lapersonne et des droits de la jeunesse, 2011 QCCA 1201).
19 RLRQ, c. P-13, r.4, art. 4.
20 Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du coeur du Québec(SIIIACQ) c. Centre hospitalier de Trois-Rivières, préc., note 13, par. 63.
21 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, L’application etl'interprétation de l'article 18.1 de la Charte des droits et libertés de la personne. Me Stéphanie Fournier, (Cat. 2.128-1.6), 2016.