Projet de loi n°1, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec
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À l'issue de son analyse du projet de loi n° 1, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec, la Commission des droits soulève de graves enjeux qui pourraient remettre en question l’attachement historique du Québec à l’État de droit et au respect des droits de la personne :
Le processus menant à l’adoption d’une constitution devrait être l’occasion de mener une réflexion collective approfondie, afin que ce texte soit à l’image du Québec moderne, qu’il nous ressemble et nous rassemble. |
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Résumé du mémoire de la Commission des droits
La Charte des droits et libertés de la personne (Charte), adoptée à l’unanimité, est le cœur de l’ordre constitutionnel québécois depuis maintenant 50 ans et le socle de la protection des droits et libertés au Québec. Bien que la Commission accueille avec ouverture la tenue d’une réflexion collective visant à doter le Québec d’une constitution, elle considère que le projet de loi n° 1, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec (projet de loi n° 1) pose de graves enjeux. Tel que présenté, il pourrait compromettre la place centrale de la Charte dans l’ordre juridique québécois et affaiblir la protection des droits et libertés qu’elle garantit à chacun et chacune.
Toute réforme constitutionnelle doit renforcer le régime des droits et libertés, et non l’éroder. En ce sens, la Commission soulève d’importantes préoccupations sur les éléments suivants. Elle formule également des recommandations sur ceux-ci :
- le processus devant mener à l’adoption d’une constitution ;
- la minorisation de la Charte dans l’ordre juridique québécois ainsi que les limites imposées à l’action des tribunaux ;
- les atteintes que le projet de loi n° 1 emporterait quant à l’économie générale de la Charte ainsi qu’aux droits et libertés qu’elle protège.
La Commission propose finalement des pistes visant à renforcer l’unicité de la Charte et la protection des droits.
Un texte fondateur qui mérite un processus rassembleur
L’adoption d’une constitution devrait suivre un processus rassembleur qui témoigne de l’importance du geste et qui soit à la hauteur des changements en jeu. À l’inverse, le manque de concertation et de consultation entourant le projet de loi n° 1 risque d’affaiblir l’adhésion à une éventuelle Constitution du Québec, mais aussi à la Charte qu’il propose de modifier.
De plus, l’absence de mécanisme spécifique de modification de ce que serait la Constitution du Québec, couplée au cycle de révision récurrente que prévoit le projet de loi n° 1, risque de compromettre sa stabilité. Puisque la Charte en ferait partie, sa légitimité future pourrait aussi être amoindrie, tout comme la protection des droits qu’elle garantit, ce qui inquiète la Commission.
La Commission rappelle d’ailleurs que toute modification de la Charte devrait faire l’objet d’un processus de consultation exemplaire, c’est-à-dire qui favorise la participation du public, la transparence, l’inclusion et le respect des droits et libertés. Une telle modification devrait en outre être adoptée par les deux tiers des membres de l’Assemblée nationale. Enfin, en raison de son rôle de gardienne de la Charte et de sa grande expertise en matière de droits et libertés, la Commission devrait toujours être une interlocutrice incontournable dès lors qu’une modification à la Charte est envisagée.
La Commission déplore en outre l’absence de consultation préalable des Premières Nations et des Inuit et souligne qu’une telle consultation aurait dû être menée conformément à leurs droits ancestraux ou issus de traités, ainsi que dans le respect de leur droit à l’autodétermination..
La minorisation de la Charte et des droits qu’elle garantit dans l’ordre juridique québécois et devant les tribunaux
Le projet de loi n° 1 introduirait un changement de paradigme où les droits et libertés consacrés par la Charte verraient leur portée réduite dans l’ordre juridique québécois par rapport aux autres normes, ce qui, ultimement, fragiliserait la protection des droits et libertés garantis à chacune et chacun.
De plus, la Commission s’inquiète des conséquences des différentes dispositions du projet de loi qui restreindraient, d’une part, les recours judiciaires fondés sur la Charte, notamment par les organismes publics financés par l’État et, d’autre part, le rôle des tribunaux de gardiens des droits et libertés.
L’affaiblissement de la Charte par la compromission de son équilibre interne
Les modifications envisagées au texte de la Charte compromettraient son équilibre interne et affaibliraient les droits et libertés garantis à chacun et chacune.
La proposition de hiérarchiser certains droits et libertés au sein de la Charte ouvrirait la porte à une dignité humaine à géométrie variable et constituerait un recul important pour tous les droits et libertés protégés, incluant pour les femmes. Cela fait aussi abstraction des mécanismes de limitation et de conciliation des droits que la Charte inclut déjà et qui, bien qu’ils demeurent encore trop peu connus, s’avèrent aussi suffisants qu’efficaces.
L’introduction de la notion de « droits collectifs » dans la Charte prévue par le projet de loi n° 1 laisse quant à elle penser que ceux-ci s’opposent aux droits et libertés de la personne. Pourtant, il s’agit d’une notion ancrée dans le droit international et relative à l’autodétermination des peuples. Elle ne doit pas être confondue avec les intérêts collectifs de la majorité, qui sont déjà pris en compte par les mécanismes actuels. Le glissement sémantique qu’opère le projet de loi crée une fausse dichotomie qui pourrait restreindre la protection des droits et libertés de la Charte.
Les multiples références à la tradition civiliste dans le projet de loi no 1 risquent, quant à elles, d’occulter le caractère bijuridique du régime québécois des droits de la personne. Bien que la tradition civiliste soit importante au Québec, l’interprétation et la mise en oeuvre effective de la Charte reposent aussi sur des notions issues du droit public, par exemple la reconnaissance de l’égalité réelle, socle de plusieurs avancées sociales.
Consolider l’unicité de la Charte québécoise par une reconnaissance accrue de ce qui la distingue
La constitutionnalisation de la Charte devrait être le moyen de consolider sa primauté dans l’ordre juridique québécois et de renforcer son caractère unique.
Au lieu des dispositions du projet de loi touchant l’avortement et les soins de fin de vie, la Commission recommande d’intégrer le droit à la santé dans la Charte, afin d’assurer un accès réel à ces soins et aux services de santé en général, et ce, tout au long de la vie. Cet ajout serait d’autant plus effectif si les droits économiques et sociaux se voyaient conférer la même prépondérance que les autres droits protégés par la Charte.
Consacrer formellement la primauté des droits économiques et sociaux de la Charte est en effet indispensable pour renforcer l’unicité de celle-ci et permettre au Québec de répondre aux enjeux sociaux actuels, tels que la pauvreté, le logement, l’itinérance ou encore l’exploitation des personnes aînées ou en situation de handicap.
Souligner les origines de la Charte constitue aussi un moyen de réaffirmer les principes qui doivent continuer d’en guider l’interprétation, en plus de rappeler qu’elle s’applique à tous et toutes. L’ajout dans le préambule de la Charte d’une référence explicite au droit international, y compris à la Convention relative aux droits de l’enfant, consoliderait son caractère distinctif et permettrait de rappeler qu’elle s’applique aussi aux enfants.
L’importance d’une constitutionnalisation de la Charte respectueuse des droits et libertés de la personne
Il y a 50 ans, le Québec s’est doté d’une Charte avant-gardiste qui est la colonne vertébrale de sa démocratie. L’intégrer à une constitution pourrait être un moment de fierté collective qui renouvellerait l’attachement de la société québécoise à l’État de droit et à un vivre-ensemble fondé sur le respect des droits de la personne.
C’est précisément parce qu’elle croit fortement en l’importance de cette constitutionnalisation que la Commission est vivement préoccupée de voir que le projet de loi no 1 affaiblirait la Charte et le régime québécois de droits et libertés. Alors que les crises se multiplient dans le monde et que l’autoritarisme gagne du terrain un peu partout, les outils de protection des droits de la personne constituent un rempart essentiel de l’État de droit. Le Québec devrait ainsi traiter avec le plus grand soin sa Charte des droits qui l’outille pour affronter les défis du 21e siècle. Ultimement, la Charte et les droits qu’elle garantit ne sont aussi forts que l’adhésion qu’ils inspirent. À force de la modifier comme une loi ordinaire, la population québécoise pourrait finir par la considérer comme telle. Ce serait alors le Québec, sa population et sa démocratie qui y perdraient.
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Les 14 recommandations de la Commission des droits
Recommandation 1
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse recommande que toute modification aux dispositions de la Partie I de la Charte (actuels articles 1 à 48) fasse l’objet d’un processus de consultation exemplaire, c’est-à-dire qui favorise la participation du public, la transparence, l’inclusion et le respect des droits et libertés. La Commission recommande en outre qu’une telle modification soit adoptée par les deux tiers des membres de l’Assemblée nationale.
Recommandation 2
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse recommande que le législateur et le gouvernement québécois prennent les mesures appropriées, en consultation étroite avec les représentants des Premières Nations et des Inuit, pour concrétiser l’engagement pris par l’Assemblée nationale relativement à la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Recommandation 3
Afin d’éviter de diluer le caractère prépondérant de la Charte des droits et libertés de la personne, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse recommande de ne pas adopter le second alinéa de l’article 16 du projet de Constitution du Québec inclus au projet de loi n° 1, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec.
Recommandation 4
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse recommande de ne pas adopter l’article 51.1 qui serait introduit à la Charte des droits et libertés de la personne par l’article 24 du projet de loi n° 1, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec, et ce, en raison du renversement de la hiérarchie des normes qu’il aurait pour effet d’opérer et des risques que cela emporterait sur la portée des droits garantis par la Charte.
Recommandation 5
Compte tenu du fait que plusieurs dispositions du projet de loi pourraient affecter l’interprétation de la Charte des droits et libertés de la personne, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse recommande de s’assurer qu’aucune disposition du projet de loi n° 1, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec, n’aurait pour effet de porter atteinte à la primauté de fait et de principe de la Charte, cette prépondérance étant essentielle à la pleine protection des droits et libertés de la personne en droit québécois.
Recommandation 6
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse recommande de ne pas adopter les articles 5 et 9 de la Loi sur l’autonomie constitutionnelle du Québec, prévue à l’article 2 du projet de loi n° 1, Loi constitutionnelle de 2025 du Québec, et ce, considérant que ces dispositions auraient pour effet de restreindre l’accès aux recours fondés sur les droits et libertés protégées par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.
Recommandation 7
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse recommande de ne pas adopter les articles 29 et 31 du projet de loi n° 1, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec qui viendraient modifier le Code de procédure civile, compte tenu du fait que ces dispositions auraient pour effet de restreindre le rôle de gardien des droits et libertés que les tribunaux doivent jouer.
Recommandation 8
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse recommande de ne pas adopter l’article 21 du projet de loi n° 1, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec modifiant la Charte des droits et libertés de la personne et de ne pas y ajouter un article 9.2 qui aurait pour effet d’introduire une hiérarchisation entre les droits de la Charte, et ce, contrairement au principe reconnu en droit international à l’effet que les droits et libertés de la personne sont universels, indivisibles, interdépendants et intimement liés.
Recommandation 9
Compte tenu du fait que les mécanismes d’interprétation de la Charte des droits et libertés de la personne permettent déjà de prendre en compte les « intérêts collectifs » de la société et que l’introduction de la notion de « droits collectifs de la nation québécoise » dans la Charte risquerait de restreindre la protection des droits et libertés de la personne, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse recommande de ne pas adopter les articles 20, 23 et 25 du projet de loi n° 1, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec.
En outre, la Commission recommande de remplacer l’expression « droits collectifs de la nation québécoise », à tous les autres endroits où elle se trouve dans le projet de loi, par une référence au « droit à l’autodétermination du peuple québécois » afin de refléter l’affirmation de ce droit sans créer une opposition apparente entre les droits « individuels » et les droits « collectifs ».
Recommandation 10
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse recommande de modifier les références à la « tradition civiliste » du Québec qu’inclut le projet de loi n° 1, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec afin de bien refléter le caractère bijuridique de la Charte des droits et libertés de la personne et du cadre québécois des droits et libertés.
Recommandation 11
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse recommande de ne pas adopter l’article 29 du projet de Constitution du Québec que propose le projet de loi n° 1, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec et qui viendrait consacrer la « liberté des femmes d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».
Afin de protéger l’accès effectif à l’avortement, en tant que soin de santé, la Commission recommande plutôt d’inscrire le « droit de toute personne de bénéficier des programmes, biens, services, installations et conditions lui permettant de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle puisse atteindre » dans le chapitre IV de la Charte des droits et libertés de la personne.
Recommandation 12
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse recommande de ne pas adopter l’article 20 du projet de loi n° 1, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec qui consacrerait le droit de « recevoir des soins de fin de vie » à la Charte des droits et libertés de la personne dans un nouvel article 39.2. La Commission des droits recommande plutôt d’introduire le « droit de toute personne de bénéficier des programmes, biens, services, installations et conditions lui permettant de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle puisse atteindre » dans le chapitre IV de la Charte des droits et libertés de la personne.
Dans l’éventualité où le législateur souhaiterait néanmoins assurer une protection additionnelle au droit de recevoir l’aide médicale à mourir, pour toute personne dont l’état le requiert, il pourrait le préciser dans un alinéa suivant l’article qui garantirait le droit à la santé dans la Charte des droits et libertés de la personne.
Recommandation 13
La Commission de la personne et des droits de la jeunesse recommande que la Charte des droits et libertés de la personne soit modifiée pour étendre aux articles 39 à 48 la primauté sur la législation que confère l’article 52 de celle-ci. Cette primauté pourrait entrer en vigueur graduellement et ainsi être limitée dans un premier temps aux lois postérieures, puis étendue aux lois existantes.
La Commission des droits recommande également que le droit de la famille à des mesures de soutien soit explicitement reconnu dans la Charte québécoise.
Enfin, la Commission des droits recommande que l’article 45 de la Charte soit modifié afin que le droit à un logement suffisant soit explicitement reconnu comme faisant partie du droit à des mesures sociales et financières, susceptibles d’assurer un niveau de vie décent.
Recommandation 14
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse recommande de modifier le Préambule de la Charte des droits et libertés de la personne afin qu’il énonce que celle-ci trouve son inspiration dans les instruments juridiques internationaux relatifs aux droits et libertés, notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme et les deux pactes internationaux. La Commission recommande également de modifier le préambule de la Charte afin qu’il énonce que les droits et libertés qu’elle garantit s’appliquent aussi aux enfants et qu’en ce sens ils trouvent leur inspiration dans la Convention relative aux droits de l’enfant.
La Commission des droits a déposé son mémoire sur le PL 1 à l’Assemblée nationale ce lundi 24 novembre. Elle a demandé à participer aux consultations publiques qui commencent le 4 décembre prochain.
50 ans de la Charte
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