De l'importance de réagir lorsque nos droits et libertés sont menacés
Aujourd’hui, nous soulignons la Journée internationale des droits de la personne, célébrée chaque 10 décembre pour commémorer l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui portait la promesse de protéger la dignité de toutes et tous et de garantir les droits des minorités.
S’inspirant de ce texte, la société québécoise s’est dotée, il y a 50 ans, d’une Charte des droits et libertés de la personne avant-gardiste qui demeure unique en Amérique du Nord. Cet anniversaire important devrait être un moment de célébration. Pourtant le cœur n’y est pas. Au moment de dresser un bilan de ce texte historique, nous sommes habités par une inquiétude profonde quant à l’avenir de la Charte et de la protection des droits de la personne au Québec.
Depuis la dernière rentrée parlementaire, nous assistons à une multiplication de projets de loi qui fragilisent les droits reconnus dans la Charte. La Commission des droits, en tant que gardienne de ce texte fondamental, ajoute sa voix à celles et ceux qui sonnent l’alarme face au risque d’effritement de nos droits et aux dangers que cela représenterait pour la démocratie québécoise.
Bien qu’elle accueille avec ouverture l’intégration de la Charte dans une constitution, la Commission des droits est vivement préoccupée par le projet de loi 1 qui risque de se traduire par un affaiblissement sans précédent du régime québécois des droits et libertés. La Commission craint qu’il compromette la primauté de la Charte, limite les droits et libertés qu’elle protège et affaiblisse les contre-pouvoirs chargés de veiller au respect de notre vivre-ensemble collectif et qui sont essentiels au bon fonctionnement de la démocratie.
Le projet de loi 1 aurait notamment pour effet d’affaiblir les droits et libertés garantis à chacune et chacun, dont ceux des femmes, des minorités et des groupes les plus vulnérables de la société. La proposition de hiérarchiser certains droits et libertés au sein de la Charte ouvrirait par ailleurs la porte à une dignité humaine à géométrie variable.
Nous déplorons aussi que ce projet n’ait pas fait l’objet d’un processus de consultation exemplaire. L’absence de consultation préalable des Premières Nations et des Inuit ne fait qu’accentuer les lacunes de ce processus.
Les deux projets de loi qui ont suivi présentent également des risques pour les droits et libertés. Le projet de loi 2, qui porte principalement sur la rémunération des médecins, et le projet de loi 3, qui vise notamment la cotisation syndicale, comportent des dispositions qui font craindre pour la liberté d’expression et la liberté d’association protégées par la Charte — indissociables de toute société libre et démocratique.
Ces inquiétudes s’ajoutent à celles que nous avons déjà exprimées quant à l’usage de plus en plus fréquent de la clause dérogatoire pour adopter des lois qui contreviennent aux droits garantis par la Charte. Le dernier exemple remonte à moins de deux semaines avec le dépôt du projet de loi 9, qui vise le port de signes religieux. La clause dérogatoire, conçue pour être exceptionnelle, semble être devenue un outil courant, ce qui compromet significativement la protection des droits garantis à toutes et tous.
Prises isolément, les modifications proposées peuvent sembler techniques ou encore anodines. Pourtant, elles impliquent des risques d’atteintes aux droits et fragilisent la démocratie et l’État de droit. Parce qu’elles sont parfois subtiles ou visent des groupes particuliers, certaines personnes pourraient croire qu’elles ne sont pas concernées. Or, lorsqu’il est question d’affaiblir les droits, tout le monde est visé.
Les droits de la personne sont le socle qui protège les plus vulnérables. Lorsque ces protections s’effritent, ce sont ces individus qui en subissent les premières conséquences, ouvrant la porte à l’injustice et à l’exclusion. Tolérer l’affaiblissement des droits pour certaines personnes pourrait, à terme, avoir des impacts sur l’ensemble de nos droits. Préserver la Charte et l’État de droit, c’est assurer à nos enfants et à nous un avenir où les droits et libertés sont pleinement protégés.
Dans un contexte mondial marqué par la montée des inégalités et des reculs inquiétants des droits – notamment des femmes, des personnes LGBTQ+, des minorités racisées et des populations migrantes – il est urgent de renforcer nos droits et libertés. Cela inclut les droits économiques et sociaux, comme le droit à la santé et le droit au logement. Une protection réelle de ces droits offrirait des moyens concrets d’agir face aux enjeux sociaux comme la crise du logement et le coût de la vie qui préoccupent, à juste titre, la population québécoise.
En tant qu’organisation gardienne de la Charte, la Commission des droits se doit de réagir lorsque nos droits et libertés sont menacés ici au Québec. La citation de Simone de Beauvoir n’aura jamais été autant d’actualité : « Rien n'est jamais définitivement acquis ». En effet, toute notre vie durant, nous devrons rester vigilantes et vigilants. C’est notre devoir collectif.
Stéphanie Gareau
Présidente par intérim et vice-présidente du mandat Jeunesse de la Commission des droits
Myrlande Pierre
Vice-présidente du mandat Charte de la Commission des droits


