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21 mai 2022Lettres et allocutions

Des propos porteurs d’une violence symbolique

Photo d'une foule par Timon Studler trouvée sur Unsplash.
Les propos méprisants sur la base de caractéristiques personnelles ont de lourdes conséquences pour les personnes qui en sont victimes autant que pour la société, rappellent Myrlande Pierre et Philippe-André Tessier (respectivement vice-présidente responsable du mandat Charte et président de la Commission), dans cette lettre ouverte sur les impacts du jugement de la Cour suprême dans le dossier Ward.

Cette lettre a été publiée dans l'édition du 21 mai 2022 du journal Le Devoir.


L’impact du jugement de la Cour suprême dans le dossier Ward va bien au-delà de la situation particulière du spectacle d’humour duquel il provient, comme l’a expliqué la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse le mois dernier, alors qu’elle annonçait un recentrage de son traitement des plaintes liées aux propos allégués comme discriminatoires.

Ainsi, des dizaines de dossiers de plaintes qui concernent essentiellement des insultes racistes et homophobes ont dû être fermés parce que, selon le cadre établi par la Cour suprême, elles ne relèvent plus de la compétence d’enquête de la Commission, ni du Tribunal des droits de la personne. En effet, il faut désormais que les propos soient émis dans une situation de harcèlement discriminatoire ou lors d’une exclusion d’un service, d’un refus de logement, d’une situation de profilage racial ou d’une perte d’emploi pour qu’une plainte soit recevable à la Commission. 

Ce recadrage du droit au recours en discrimination par la Cour suprême suscite de vives inquiétudes chez des personnes qui font l’objet de propos stigmatisants, voire déshumanisants. À cet effet, la grande majorité des plaintes de propos reçues à la Commission concernent des propos racistes comportant le mot en « N » exprimés de manière virulente et dégradante à l’endroit de personnes noires et racisées dans diverses interactions. La situation est particulièrement inquiétante selon la Commission.

Des personnes continuent aujourd’hui de subir des propos méprisants ou des remarques offensantes sur la base de caractéristiques personnelles. Les discours et les gestes de nature discriminatoire, raciste, xénophobe et homophobe font partie d’un continuum : individuel; systémique et sociétal, d’où l’importance de lutter contre ces phénomènes délétères, comme le conçoivent les travaux de la Commission ainsi que de nombreuses recherches universitaires et institutionnelles sur la question.

De lourdes conséquences

Les propos méprisants traduisent des stéréotypes envers des groupes historiquement désavantagés qui continuent de vivre des situations de discrimination et de racisme et peuvent donc avoir de lourdes conséquences. Ils peuvent atteindre l’estime de soi des personnes qui en sont la cible en propageant l’idée que leur humanité serait de valeur moindre. Ces expériences peuvent laisser des cicatrices profondes et susciter des sentiments de peur et d’exclusion, en opposition totale avec l’esprit de la Charte des droits et libertés de la personne. Les discours empreints de racisme, d’homophobie, de transphobie, de sexisme ou d’âgisme peuvent affecter le sentiment d’appartenance des personnes visées au reste de la société ainsi que leur sentiment de sécurité.

Aussi, des propos fondés sur des stéréotypes peuvent altérer le lien de confiance entre les personnes qui en sont la cible et le reste de la société. Il existe en outre un risque de banalisation des discours porteurs d’intolérance et de haine, soit une perte de sensibilité auprès du public en général par rapport aux effets de ceux-ci. À terme, ce sont les possibilités du vivre ensemble et la création du lien social qui s’en trouvent réduites. Cet enjeu n’est donc pas uniquement celui des groupes désavantagés, mais relève plus largement de la responsabilité de l’ensemble de la collectivité.

Plus que jamais, l’on doit aujourd’hui se tourner vers l’origine et l’objet de la Charte afin de mieux comprendre l’impact de la décision de la Cour suprême. Il faut ainsi se rappeler le rôle associé à la dignité dans l’édifice des droits et libertés de la personne au Québec. Le but de la Charte, disait-on dans le communiqué de 1974 qui accompagnait le dépôt du projet de loi ayant mené à sa création, était : « d’affirmer solennellement les libertés et droits fondamentaux de la personne afin que ceux-ci soient garantis par la volonté collective et mieux protégés contre toute violation [, de] régler les rapports entre citoyens en fonction de la dignité humaine et [de] déterminer les droits et les facultés dont l’ensemble est nécessaire à l’épanouissement de la personnalité de chaque être humain. ».

La Commission poursuit son engagement

En dépit du recadrage de son pouvoir d’enquête en matière de propos, l’engagement de la Commission afin de s’assurer du respect des principes énoncés dans la Charte demeure entier. La Commission est effectivement résolue à poursuivre son travail d’enquête, de recherche, d’éducation, d’information et de coopération.

Plus largement, la Commission souhaite interpeller l’ensemble de la société québécoise, afin que tous et toutes prennent la juste mesure de la situation survenue et identifient des moyens de répondre judicieusement à l’importante brèche assénée à l’édifice des droits et libertés.

Ne perdons pas de vue collectivement l’objectif d’égale dignité au cœur de cette loi fondamentale et la protection qu’on a apportée à la dignité au cours des dernières décennies.


Myrlande Pierrevice-présidente responsable du mandat Charte
Philippe-André Tessier, président