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18 octobre 2017Lettres et allocutions

Lettre à la présidente de la Commission de la culture et de l'éducation sur le Projet de loi n° 144

Voici les commentaires de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse concernant la conformité du Projet de loi n°144, Loi modifiant la Loi sur l’instruction publique et d’autres dispositions législatives concernant principalement la gratuité des services éducatifs et l’obligation de fréquentation scolaire.

Le 29 septembre 2017

Madame Filoména Rotiroti
Présidente
Commission de la culture et de l’éducation
Édifice Pamphile-Le May
1035, rue des Parlementaires3e étage, Bureau 3.15
Québec (Québec) G1A 1A3
cce@assnat.qc.ca

Objet: Conformité du Projet de loi n°144, Loi modifiant la Loi sur l’instruction publique et d’autres dispositions législatives concernant principalement la gratuité des services éducatifs et l’obligation de fréquentation scolaire

Madame la Présidente,

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse1 a pour mission d’assurer le respect et la promotion des principes énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne2. Elle assure aussi la protection de l’intérêt de l’enfant, ainsi que le respect et la promotion des droits qui lui sont reconnus par la Loi sur la protection de la jeunesse3.

C’est à ce titre que la Commission commente le Projet de loi n° 144, Loi modifiant la Loi sur l’instruction publique et d’autres dispositions législatives concernant principalement la gratuité des services éducatifs et l’obligation de fréquentationscolaire4.

Les mesures visant à accroître le droit à la gratuité des services éducatifs

Le projet de loi propose des modifications en vue d’accroître la portée du droit à la gratuité des services éducatifs à toute personne qui n’est pas résidente du Québec au sens de la Loi sur l’instruction publique5. À ce sujet, la Commission se réjouit de constater que le projet de loi ne mentionne pas le statut d’immigration de l’enfant pour avoir droit à la gratuité des services éducatifs.

Elle s’étonne toutefois de l’exigence actuellement proposée. À savoir, le droit à la gratuité des services éducatifs de l’élève mineur, qui n’est pas résident du Québec, serait accordé lorsque le titulaire de l’autorité parentale peut démontrer qu'il demeure de façon habituelle au Québec, c’est-à-dire qu’il y a sa résidence6. Ainsi, la mise en oeuvre du droit à l’instruction publique gratuite, reconnu à tout enfant se trouvant au Québec par l’article 40 de la Charte ainsi que par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels7 et la Convention relative aux droits de l’enfant8, dépendrait du lieu de résidence du titulaire de l’autorité parentale de l’enfant et non du lieu de résidence de cet enfant. Rappelons que dans le mémoire portant sur le Projet loi n° 86, Loi modifiant l’organisation et la gouvernance d es commissions scolaires en vue de rapprocher l’école des lieux de décision et d’assurer la présence des parents au sein de l’instance décisionnelle de la commission scolaire, la Commission a fait valoir que toute personne qui a droit au service de l’éducation préscolaire et aux services d’enseignement primaire et secondaire en vertu de la LIP doit les recevoir gratuitement de la part de la commission scolaire du territoire sur lequel elle a élu son domicile9.

Par ailleurs, nous nous interrogeons quant au maintien des exigences prévues au Régime pédagogique préscolaire, primaire et secondaire concernant l’inscription de l’enfant à l’école. En effet, ces exigences ne sont pas visées par le projet de loi.

Pourtant, le règlement actuel prévoit que lors de son inscription, un élève mineur doit fournir son certificat de naissance sur lequel les noms de ses parents sont inscrits ou la carte de citoyenneté canadienne ou la carte de résident permanent accompagnée d’un document complémentaire10. De plus, des documents d’immigration non périmés supplémentaires, tels que le certificat de sélection du Québec ou un visa, sont requis lors de l’inscription11.

Le maintien de ces exigences aurait encore pour conséquence d'obliger les titulaires de l’autorité parentale à dévoiler des informations quant à leur statut d’immigration et à celui de leur enfant lors de l’inscription de celui-ci. En effet, pour les parents qui ont un statut précaire (par exemple, un visa de visiteur périmé), le fait d’avoir à divulguer de telles informations sans garantie qu’elles ne soient portées à la connaissance des autorités compétentes en matière d’immigration, constitue un frein majeur à l’inscription de leur enfant à l’école. Cette pratique a ainsi pour effet de porter atteinte au droit à l’égalité des enfants ayant un statut d’immigration précaire dans l’exercice de leur droit à l’instruction publique gratuite. De plus, cela apparaît contradictoire avec l’un des objectifs principaux de ce projet de loi, soit d’accroitre la portée du droit à la gratuité des services éducatifs.

Ajoutons que les titulaires de l’autorité parentale seraient également tenus de divulguer des informations relatives à leur statut d’immigration ou à celui de leur enfant s’ils demandaient à une commission scolaire d’être exemptés du paiement de la contribution financière exigible, que ce soit pour des raisons humanitaires ou pour éviter un préjudice grave à l’élève du fait qu’il ne fréquenterait pas l’école12, tel que proposé par le projet de loi.

À ce propos, la Commission se demande par ailleurs si l’exemption pourrait être accordée aux titulaires de l’autorité parentale qui ne sont pas en cours de processus de régularisation de leur statut d’immigration.

En effet, selon les directives en vigueur, une demande d’exemption du paiement de la contribution financière peut être accordée par le ministre lorsque des démarche sont été entreprises pour régulariser son statut d’immigration, mais que la situation est telle qu’elle risque de compromettre la situation de l’enfant13. Cela étant, la condition d’avoir entrepris des démarches pour régulariser son statut d’immigration s’appliquerait-elle à la demande d’exemption de la contribution financière exigible qui est prévue au projet de loi?

Ainsi, advenant que les informations concernant le statut d’immigration de l’enfant ou ses parents continuent d’être recueillies, la Commission estime qu’il faudrait à tout le moins que la confidentialité des informations soit explicitement énoncée à la LIP.

Enfin, la Commission ne saurait suffisamment insister sur l’importance pour le gouvernement de mettre en place un processus qui assure la pleine et entière connaissance du droit à l’instruction publique gratuite, tel que prescrit par la Charte, de tout enfant se trouvant au Québec.

Les mesures visant à renforcer le respect de l’obligation de fréquentation scolaire

Le projet de loi propose des mesures pour renforcer le respect de l’obligation de fréquentation scolaire, notamment afin de mieux définir le processus associé aux dispenses de fréquentation scolaire, ainsi que les responsabilités des parties à cet égard — État, commissions scolaires, parents, directeur de la protection de lajeunesse14 — et pour mieux intervenir lorsque l’obligation de fréquentation scolaire est compromise.

Pour la Commission, il est primordial d’analyser les mesures proposées du point de vue de l’intérêt et du respect des droits de l’enfant, tels qu’ils lui sont reconnus parles lois du Québec et par les instruments internationaux. C’est d’ailleurs le principe directeur qui a guidé la Commission dans l’examen de l’intervention faite auprès de la communauté Lev Tahor qui portait entre autres sur la non-fréquentation scolaire des enfants15.

À cette occasion, elle a constaté que les moyens utilisés par les autorités scolaires pour rappeler les obligations de fréquentation scolaire des enfants et pour régulariser la situation ont été nettement insuffisants et que les délais pour effectuer l’intervention étaient inexplicables. Ainsi, la Commission a conclu que les responsables du réseau de l’éducation doivent agir avec diligence et prioriser les besoins des enfants dans la détermination de moyens efficaces à mettre en oeuvre afin de faire respecter rapidement les obligations de la LIP16. Aussi, la Commission a rappelé que l’intervention du DPJ doit être adéquatement planifiée avec les partenaires, c’est-à-dire qu’elle doit être concertée, intégrée et demeurer sous sonleadership17.

Sur ce point, la Commission constate que les modifications à l’article 17.1 de la LIP proposées par le projet de loi ne prévoient aucun délai en lien avec les différentes actions à poser par la commission scolaire à la demande du ministre. La Commission estime nécessaire de rappeler l’importance que les interventions visées dans le contexte de ces démarches s’effectuent avec diligence, un principe inscrit à la LPJ18.

En ce qui concerne les modifications qui visent l’encadrement de la scolarisation à la maison19, la Commission estime qu’il est essentiel de s’assurer qu’elles soient de nature à garantir pleinement le droit à l’instruction publique gratuite, consacré par la Charte. Cette préoccupation est d’autant plus importante considérant l’augmentation du nombre de familles qui scolarisent leur enfant à la maison au Québec20.

Cependant, le portrait des familles qui demandent une dispense de fréquentation scolaire demeure incomplet, étant donné l’absence de mécanisme qui permettrait au ministre de connaître les raisons à l’origine de cette demande. On le sait, la scolarisation à la maison peut être choisie pour divers motifs21.

De par sa mission et ses mandats, la Commission s’intéresse plus spécifiquement à certaines situations à l’origine de ce choix. Or, dans certains cas particuliers, la scolarisation à la maison n’apparaît pas comme un réel choix. À titre d’exemple, des parents retirent leur enfant de l’école parce qu’il subit de l’intimidation ou qu’il ne reçoit pas les services auxquels il devrait avoir droit en raison de son handicap.

Le phénomène de la scolarisation à la maison est encore méconnu au Québec et devrait être davantage documenté. Mieux connaître les situations permettrait notamment d’apporter des pistes d’intervention adaptées qui soient dans l’intérêt de l’enfant et respectueuses de l’ensemble de ses droits. À cette fin, il serait utile que la cueillette d’informations sur le sujet, notamment quant aux raisons motivant les parents à faire une demande de dispense de fréquentation scolaire, soit prévue à la LIP.

Par ailleurs, la Commission juge important de rappeler que tout enfant a le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question intéressant son éducation22. Ses opinions doivent être dûment prises en considération selon son âge et son degré dematurité23. En l’occurrence, l’application de ce principe rend impérative l’implication de l’enfant qui est dispensé de l’obligation de fréquentation scolaire parce qu’il reçoit un enseignement à la maison, notamment lors du processus d’évaluation de sa progression par la commission scolaire.

De plus, la Commission remarque que les conditions ou modalités relatives à l’évaluation de la progression de l’enfant qui reçoit un enseignement à la maison et au processus applicable en cas de difficulté liée à son projet d’apprentissage ou à la mise en oeuvre de celle-ci ne seraient pas prévues à la LIP24. Les modalités de suivi en matière d’enseignement à la maison pourraient plutôt être déterminées par règlement, par le gouvernement25. Ce faisant, les responsabilités de la commission scolaire lors du suivi ne seraient pas précisées dans la loi.

La Commission estime qu’il serait pertinent de prévoir un signalement au DPJ lorsque la commission scolaire constate qu’il existerait des raisons de croire que la sécurité ou le développement de l’enfant est compromis au sens de la LPJ en raison d’une situation de négligence sur le plan éducatif26.

Enfin, la Commission s’inquiète du fait que certaines modifications proposées risquent de porter atteinte au droit au respect de la vie privée de l’enfant et ses parents, un droit fondamental protégé par l’article 5 de la Charte.

Entre autres, lorsqu’un enfant ne remplirait pas son obligation de fréquentation scolaire, les parents seraient tenus de fournir à la commission scolaire tout renseignement qu’elle requiert relativement à la situation de leur enfant27. Cette formulation permettrait aux commissions scolaires de recueillir de l’information quine serait toutefois pas nécessaire aux fins de sa démarche.

La Commission est de même préoccupée relativement aux informations que le ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport pourrait communiquer ou recueillir d’un autre ministre ou d’un organisme public, s’ils concluaient une entente en vue d’assurer la fréquentation scolaire d’un enfant28. En effet, le manque de précision pourrait également mener à la divulgation de renseignements personnels non pertinents à la finalité recherchée en l’espèce. Ainsi, des atteintes au droit au respect de la vie privée de l’enfant ou de ses parents pourraient survenir. Des craintes similaires peuvent être formulées au sujet de la modification à la Loi sur l'assurance maladie qui autoriserait la divulgation de renseignements au ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport29. Il importe entre autres de s’assurer que les seules informations qui sont nécessaires à l’objectif visé sont recueillies.

En vue d’assurer le plein respect des droits de l’enfant protégés par la Charte, dont le droit à l’instruction publique gratuite, et des droits et principes prévus à la LPJ ,nous espérons que les éléments présentés dans cette lettre seront pris en considération dans les travaux qui sont menés en vue de l’adoption du projet de loi. Je vous prie de croire, Madame la Présidente, à l’expression de ma haute considération.

Me Tamara Thermitus, Ad. E.
Présidente


1 Ci-après « Commission ».
2 Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, art. 57, (ci-après « Charte »).
3 Loi sur la protection de la jeunesse, RLRQ, c. P-34.1, (ci-après « LPJ »).
4 Loi modifiant la Loi sur l'instruction publique et d’autres dispositions législatives concernant principalement la gratuité des services éducatifs et l’obligation de fréquentation scolaire, projet de loi 144, (présentation - 9 juin 2017), 1re sess., 41e légis. (Qc).
5 Loi sur l’instruction publique, RLRQ, c. 1-13.3, (ci-après « LIP »).
6 L'article 77 du Code civil prévoit que la résidence d'une personne est le lieu où elle demeure de façon habituelle.
7 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966,[1976] R.T. Can. n° 46, art. 13. Le Québec s'est déclaré lié par le Pacte. Arrêté en conseil1438-76 concernant le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,(1984-1989) Recueil des ententes internationales du Québec 809.
8 Convention relative aux droits de l’enfant, A/RES/44/25 (1989) R.T. Can. 1992 n° 3 (20novembre 1989), art. 28.
9 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Mémoire sur le Projet de loi n° 86, Loi modifiant l'organisation et la gouvernance des commissions scolaires en vue de rapprocher l'école des lieux de décision et d'assurer la présence des parents au sein del'instance décisionnelle de la commission scolaire, (Cat. 2.412.84.4), 2016.
10 Ministère de l’éducation, du loisir et du sport, @riane - Gestion des données d'identification de l'élève - Guide administratif, Version 2.1, Direction de la gestion des systèmes de collecte, 2017, [En ligne].
http://www1.education.gouv.qc.ca/doc_adm/ariane/GuideAdmin.pdf
11 Les lignes directrices émises par le MELS portant sur l’accompagnement des familles dont le statut d’immigration est précaire, en vue de la rentrée 2013-2014, confirment cette exigence. Ministère de l’éducation, du loisir et du sport, L'inscription à l’école pour les enfants en situation d'immigration précaire, Éducation préscolaire, enseignement primaire et secondaire,2013, p. 9.
12 Art. 6 du projet de loi modifiant l’article 216 de la LIP.
13 Ministère de l’éducation, du loisir et du sport, L'inscription à l'école pour les enfants en situation d'immigration précaire, Éducation préscolaire, enseignement primaire et secondaire,2013, p. 13.
14 Ci-après « DPJ ».
15 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Position de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse au sujet de l'intervention du directeur de la protection de la jeunesse et de ses partenaires auprès de la communauté Lev Tahor, (Cat. 2.700-3.2), 2015.
16 Id., p. 4 et 6.
17 Id., p. 4, 6 et 8.
18 Art. 2.4 (5) de la LPJ.
19 Nous nous en tiendrons ici à l'utilisation de l'expression « scolarisation à la maison » bien que certains lui préfèrent celle d’« apprentissage en famille ».
20 Christine Brabant, L'école à la maison au Québec - Un projet familial, social et démocratique, Presse de l’Université du Québec, 2013; Protecteur du citoyen, La scolarisation à la maison : pour le respect du droit à l'éducation des enfants (Rapport), 2015.
21 C. Brabant, préc., note 20, p. 78.
22 Convention relative aux droits de l’enfant, préc., note 8, art. 12 al.  1. Rappelons que celui-ci s’applique notamment dans le cadre de procédures administratives concernant l’éducation de l’enfant, tel que précisé par le Comité des droits de l’enfant : Comité des droits de l'enfant, Observation générale n° 12 (2009) sur le droit de l'enfant d'être entendu, Doc. N.U.CRC/C/GC/12.
23 Id.
24 Art. 2 du projet de loi, modifiant l’article 15 de la LIP.
25 Art. 9 du projet de loi, introduisant l’article 448.1 à la LIP.
26 Art. 3 du projet de loi, 26 introduisant l'article 17.1 al. 3 à la LIP.
27 Art. 3 du projet de loi, introduisant l'article 17.1 al.  2 à la LIP.
28 Art. 11 du projet de loi, introduisant l’article 459.0.1 à la LIP.
29 Art. 18 du projet de loi, modifiant l’article 67 de la Loi sur l’assurance maladie.