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24 février 2022Lettres et allocutions

Lettre sur la conformité à la Charte du projet de loi n° 4, Loi renforçant la gouvernance des sociétés d’État et modifiant d’autres dispositions législatives

Membres d'un conseil d'administration
Dans cette lettre, la Commission émet certaines réserves quant aux règles de composition des conseils d’administration des sociétés d’État qui se verraient actualisées par le projet de loi n° 4. Elle estime en effet que l’approche choisie en vue de corriger la situation de sous-représentation de certains groupes historiquement discriminés dans les milieux de décision et les instances de pouvoir n’est pas conforme à l’approche de l’accès à l’égalité retenue par le législateur québécois depuis près de 40 ans dans la Charte, mais aussi dans la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics.

PAR COURRIER ÉLECTRONIQUE

Le 22 février 2022


Monsieur Jean-François Simard
Président de la Commission des finances publiques
Hôtel du Parlement
1045, rue des Parlementaires
RC, Bureau RC 35
Québec (Québec) G1A 1A4
Jean-Francois.Simard.MONT@assnat.qc.ca

Objet : Conformité du projet de loi n° 4, Loi renforçant la gouvernance des sociétés d’État et modifiant d’autres dispositions législatives aux dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne

Monsieur le Président,

La Charte des droits et libertés de la personne confie à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse[1] le mandat de relever les dispositions des lois et des règlements du Québec qui lui seraient contraires et de faire au gouvernement les recommandations appropriées[2]. Nous formulons donc les présents commentaires en vertu de ce mandat.

La Commission souhaite, par la présente, faire état de certaines réserves relativement aux règles de composition des conseils d’administration des sociétés d’État qui se verraient actualisées par le projet de loi n° 4, Loi renforçant la gouvernance des sociétés d’État et modifiant d’autres dispositions législatives[3]. Ainsi, elle estime que l’approche choisie en vue de corriger la situation de sous-représentation de certains groupes historiquement discriminés dans les milieux de décision et les instances de pouvoir n’est pas conforme à l’approche de l’accès à l’égalité retenue par le législateur québécois depuis près de 40 ans dans la Charte[4], mais aussi dans la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics[5]

Plus particulièrement, la Commission s’interroge sur la manière dont le projet de loi définit le respect et l’atteinte de la parité femmes/hommes ainsi que sur l’absence de dispositions relatives à la présence, dans ces conseils d’administration, des personnes des minorités visibles, pourtant spécifiquement ciblées par le rapport du Groupe d’action contre le racisme[6] et incluses dans une politique gouvernementale sur « l’identité culturelle »[7]. Pour les raisons exposées ci-après, la Commission invite également à envisager que des mesures ciblent aussi d’autres groupes protégés, et notamment les personnes autochtones et les personnes en situation de handicap. Finalement, elle souligne que toute démarche de correction de la sous-représentation des groupes historiquement absents de ces lieux décisionnels devrait se faire dans une perspective intersectionnelle.

La parité femmes/hommes, un concept essentiel et pertinent à conjuguer impérativement avec la notion de l’accès à égalité pour la composition des conseils d’administration des sociétés d’État 

Le projet de loi viendrait notamment modifier les exigences relatives à la composition des conseils d’administration et la représentation des femmes au sein de ces derniers. Un article 3.5 serait ainsi introduit à la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État[8] afin de prévoir que la composition des conseils d’administration des sociétés d’État doit tendre « à une parité entre les hommes et les femmes ». Cet objectif serait considéré comme atteint lorsque « la proportion de femmes ou d’hommes se situe entre 40 % et 60 % du nombre total de femmes et d’hommes qui en sont membres »[9]. L’objectif serait donc rempli dès lors que le pourcentage des femmes ou des hommes d’un conseil se situerait dans cette « zone paritaire ».

L’article 43 de la Loi serait modifié pour tenir compte de cette nouvelle disposition.

Or, cet intervalle de 40 à 60 % pose différents problèmes et ne semble guère compatible avec les objectifs qui sont plus largement poursuivis par le principe de l’accès à l’égalité dans différents secteurs, comme celui de l’emploi ou encore de l’éducation, choisi par le législateur québécois depuis le début des années 1980 dans la partie III de la Charte des droits et libertés de la personne et réitéré notamment en 2000 avec l’adoption de la LAÉE

L’approche retenue par le législateur québécois cherche en effet à s’éloigner d’une logique de « quotas » et de tout seuil ou limite fixés plus ou moins arbitrairement. Toute mesure laissant entendre qu’un nombre déterminé de places serait réservé aux membres de groupes visés par l’accès à l’égalité peut d’ailleurs, comme le soulignent les professeurs Chicha et Charest, créer un malentendu pouvant « dissimuler un doute sur la compétence des membres des groupes cibles ». Ils ajoutent :

« un tel système [de quota] n’existe pas au Québec. Les objectifs de représentation inclus dans un programme d’accès à l’égalité reposent toujours sur les compétences. Ces objectifs se basent sur des analyses d’effectif et de disponibilité des membres des groupes cibles compétents ou aptes à acquérir la compétence nécessaire. Ils indiquent ce qu’une organisation pourrait raisonnablement réaliser »[10].

La démarche qui s’impose tant en vertu de la Charte que des programmes d’accès à l’égalité suppose plutôt une application flexible des seuils de représentation, tenant compte du contexte propre au milieu de l’emploi ou à l’institution visés. L’objectif consiste en l’atteinte des cibles calculées en fonction d’un taux de disponibilité afin que ces personnes soient présentes activement et massivement dans plusieurs domaines de la vie, notamment dans les emplois de cadres supérieurs et de la haute direction.

Cette démarche s’inscrit avant tout dans une logique d’égalité réelle, en vertu de laquelle on cherchera à « corriger la situation de personnes faisant partie de groupes victimes de discrimination »[11], que ce soit en emploi, dans les secteurs de l’éducation, de la santé ou dans tout autre service ordinairement offert au public.

De fait, en exigeant que les conseils d’administration comprennent une « proportion de femmes ou d’hommes qui se situe entre 40 % et 60 % », la mesure introduite par le projet de loi s’inscrit davantage dans une perspective d’égalité formelle qui ne tient pas pleinement compte de la réalité historique de la sous-représentation des femmes aux fonctions de pouvoir et notamment au sein des conseils d’administration. Au surplus, poser un plafond (60 %) risque de limiter la pérennité de l’égalité une fois atteinte. En effet, la fixation d’un seuil maximal de représentation d’un groupe historiquement sous-représenté pourrait empêcher que le retard accumulé dans la représentation de ses membres soit corrigé de manière durable.

Les programmes d’accès à l’égalité exigent que les objectifs numériques fixés s’accompagnent d’une analyse du système d’emploi ou de nomination pour permettre de lever les barrières systémiques qui ont contribué à la sous-représentation des groupes visés par le programme. Ces mesures doivent aussi contribuer à maintenir une représentation adéquate une fois celle-ci atteinte.

La fixation d’objectifs quantitatifs doit donc être comprise comme un élément d’une démarche plus large prévoyant des mesures de base[12], soit les mesures de redressement, d’égalité des chances, de consultation et d’information, et, éventuellement, des mesures de soutien pour éliminer les pratiques discriminatoires. Un échéancier doit également être prévu pour le programme[13]. Les mesures de redressement, qui sont temporaires, doivent être appliquées jusqu’à l’atteinte des cibles de représentation pour les groupes visés. Par exemple, pour une implantation — optimale d’un programme d’accès à l’égalité en emploi, la mesure la plus connue et urgente à appliquer consiste à accorder, à compétence équivalente, le poste à la personne appartenant à l’un des cinq groupes visés par la loi[14].

Or, rien dans le projet de loi, ni dans la Politique concernant la parité entre les femmes et les hommes au sein des conseils d’administration des sociétés d’État actuellement en vigueur, ne prévoit une analyse du mode de nomination afin d’assurer l’élimination des biais ou pratiques discriminatoires qui pourraient mener à la sous-représentation des femmes dans plusieurs conseils d’administration de sociétés d’État québécoises. Remarquons à cet effet que le plus récent Rapport sur la parité entre les femmes et les hommes au sein des conseils d’administration de l’ensemble des sociétés d’État visées par la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État[15] permet de constater que la sous-représentation des femmes semble être particulièrement marquée dans certaines sociétés d’État à vocation financière ou économique, par exemple. Au surplus, aucun échéancier n’est fixé pour l’atteinte de la mesure proposée.

La Commission invite ainsi le législateur à prévenir et à corriger, le cas échéant, les effets discriminatoires à l’encontre des femmes que pourrait engendrer l’imposition d’un plafond de 60 % dans la composition « paritaire » des conseils d’administration des sociétés d’État. Bien que les programmes d’accès à l’égalité en emploi ne s’appliquent pas aux conditions de nomination des membres d’un conseil d’administration, la Commission suggère au gouvernement québécois de s’appuyer sur l’approche de l’accès à l’égalité et ainsi, évaluer et établir les cibles de représentation des femmes en fonction de leur taux de disponibilité dans les emplois de haut niveau. Cette démarche permettrait de rattraper leur retard accumulé dans l’obtention de ces postes et, par conséquent, des positions qu’elles devraient occuper au sein de ces conseils. L’atteinte des cibles de représentation devrait par ailleurs être sous-tendue par un échéancier.

Les constats du Groupe d’action contre le racisme et la Politique favorisant la constitution de conseils d’administration des sociétés d’État dont l’identité culturelle des membres reflète les différentes composantes de la société québécoise 

Différentes études dressent le constat qu’il n’y a que peu ou pas d’évolution en ce qui concerne la présence des membres des minorités visibles dans les conseils d’administration au Québec[16].

Le Groupe d’action contre le racisme partage ce constat et a récemment affirmé que « les minorités visibles sont actuellement sous-représentées dans les conseils d’administration des sociétés d’État »[17]. Il recommande d’ailleurs, dans le cadre de son action n° 8, « que la majorité des conseils d’administration des sociétés d’État soumises à la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État aient au moins un membre provenant d’une minorité visible d’ici cinq ans »[18].

Pourtant, malgré ce qui est affirmé dans un récent communiqué sur le suivi de cette action, à l’effet que le projet de loi n° 4 « permettra qu’un nombre plus important de sociétés d’État soient concernées par l’atteinte de l’objectif du gouvernement d’avoir au moins un représentant d’une minorité visible sur son CA »[19], force est de constater qu’aucune disposition du projet de loi ne cible spécifiquement les minorités visibles.

Le communiqué ministériel sur le bilan dressé un an après le rapport du Groupe d’action contre le racisme affirme par ailleurs que la cible visée à l’action n° 8 serait déjà atteinte depuis cet automne[20].

Or, si la « politique sur l’identité culturelle » mentionnée dans le communiqué est publique, il semble que les données relatives à l’atteinte de l’objectif fixé pour ce groupe visé — comme la manière dont cet objectif a été établi — n’ont pas été diffusées. Nos recherches n’ont permis de trouver qu’un bilan de deux pages, intitulé « Rapport sur l’évolution de la représentation des personnes dont l’identité culturelle reflète les différentes composantes de la société québécoise au sein des conseils d’administration de l’ensemble des sociétés d’État visées par la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État » datant de décembre 2019, rapport ayant visiblement été rendu public à la suite d’une demande d’accès à l’information[21].

Ce rapport établit que les « composantes de la société québécoise identifiées aux fins de l’application de la Politique sont : les [A]utochtones ; les minorités visibles et ethniques ; les anglophones »[22].

La section « état de la situation au 31 décembre 2019 » établit quant à elle ceci :

« le taux de représentation des personnes dont l’identité culturelle reflète les différentes composantes de la société québécoise dans les conseils d’administration de l’ensemble des sociétés d’État visées par la loi sur la gouvernance des sociétés d’État est de 9,8 %. Le nombre total de personnes visées est en légère hausse au sein de ces conseils d’administration avec 28 personnes en décembre 2019 par rapport à 27 personnes en décembre 2018. Le taux de représentation a toutefois diminué puisque le nombre total de personnes siégeant sur des conseils d’administration est plus élevé au 31 décembre 2019 »[23].

Nous nous interrogeons donc sur la manière dont le gouvernement a procédé pour établir, dans le cadre de la composition des conseils d’administration de sociétés d’État, cet objectif quantitatif d’un (1) membre appartenant à une minorité visible et pour affirmer ensuite que cet objectif était atteint. Ce dernier constat est particulièrement étonnant dans la mesure où le bilan de 2019 amalgame les minorités visibles avec les minorités ethniques et qu’il confond de surcroit ce groupe, dans ses statistiques, avec les personnes autochtones et les personnes anglophones. En l’absence de rapport plus récent disponible en ligne, il est donc difficile de comprendre tant le fondement de l’objectif quantitatif que l’affirmation que celui-ci serait atteint.

Tel que développé plus haut, il est important de calculer les cibles de représentation des membres des groupes visés en fonction de leur taux de disponibilité dans les postes de haut niveau, y compris lors de leur nomination au sein des conseils d’administration. La fixation d’un seuil d’une (1) personne appartenant à une minorité visible parmi les membres d’un conseil d’administration semble ainsi établie de manière arbitraire et non conforme à l’esprit des programmes d’accès à l’égalité.

De la même manière que pour le groupe visé « femmes », la Commission suggère en conséquence que le gouvernement québécois prenne en compte le principe de l’accès à l’égalité pour évaluer et établir, dans le cadre de la nomination des membres des conseils d’administration des sociétés d’État, les cibles de représentation des membres des minorités visibles en fonction de leur taux de disponibilité dans les emplois de haut niveau de manière à rattraper leur retard accumulé dans l’obtention de ces postes. Un échéancier devrait également être fixé afin d’atteindre, dans un délai raisonnable, les cibles de représentation de ce groupe visé.

Par ailleurs, le bilan de 2019 démontre que le concept d’« identité culturelle reflétant les différentes composantes de la société québécoise » dont il est question dans la politique[24] porte à confusion et peut être défini de manière pour le moins étonnante et limitative, par exemple en ne s’attardant qu’à certains groupes sans qu’ils ne correspondent, par exemple, aux groupes visés par les programmes d’accès à l’égalité en emploi dans les sociétés d’État et la fonction publique[25].

Dans la mesure où les divers textes de lois, règlements, décrets et programmes en matière d’accès à l’égalité utilisent une dénomination uniforme des groupes visés, il semble en effet que la politique en question gagnerait à utiliser les mêmes termes plutôt que de maintenir une notion aussi floue que celle d’« identité culturelle », dont la définition semble arbitraire. Si cette politique vise la représentation, dans les conseils d’administration, des membres des minorités visibles, c’est à ce groupe qu’elle devrait faire clairement et textuellement référence. Cette politique devrait également préciser l’importance d’établir des objectifs de représentation et de nomination spécifiques à ce groupe ou à chacun des groupes que l’on souhaite viser, le cas échéant.

En conséquence, la Commission recommande que la référence à l’« identité culturelle » des personnes siégeant aux conseils d’administration des sociétés d’État soit remplacée, tant dans la Loi que dans la politique, par une référence précise aux groupes dont on souhaite corriger la sous-représentation dans ces instances de pouvoir, compte tenu de la situation de discrimination constatée à l’égard de ceux-ci. Afin de tenir compte des divers constats et recommandations du Groupe d’action contre le racisme, il semble que les groupes visés pourraient, de manière prioritaire, être ceux des membres des minorités visibles et des personnes autochtones. En effet, ces deux groupes ont été identifiés par le Groupe d’action contre le racisme comme étant les plus « particulièrement vulnérables face au racisme et à la discrimination »[26].

De fait, la Commission s’est toujours attachée à prendre en compte, dans ses travaux, les réalités que vivent les personnes autochtones ou encore celles des personnes des minorités visibles[27]. Elle considère que chacun de ces deux groupes devrait faire l’objet d’une attention particulière dans le cadre de la politique gouvernementale de manière à assurer une représentation juste et égalitaire de leur nombre dans les instances de pouvoir. L’homogénéité des cadres supérieurs et de haute direction dans la fonction publique ou encore dans les conseils d’administration des entreprises privées[28] commande une telle prise en compte. La participation des personnes concernées[29] à l’élaboration de cette politique est un autre aspect important. Ces groupes devraient aussi être identifiés nommément dans le texte même de la Loi et le projet de loi devrait être modifié en conséquence.

La sous-représentation d’autres groupes au sein des conseils d’administration et l’importance d’adopter une approche intersectionnelle

La Commission est également d’avis que le gouvernement devrait se pencher sur l’absence d’autres groupes au sein de ces conseils d’administration et évaluer si des mesures de correction de leur sous-représentation s’imposent. Par exemple, elle considère que la représentation des personnes en situation de handicap, dans les conseils d’administration des sociétés d’État, devrait également faire l’objet d’une disposition dans la Loi. En effet, ces personnes protégées par la Charte et visées par les programmes d’accès à l’égalité sont également très peu présentes, voire absentes, dans les postes de haut niveau des sociétés d’État[30].

Enfin, il est essentiel de tenir compte du caractère intersectionnel de la discrimination ou de l’impact des croisements de différents motifs de discrimination dans ces milieux de travail et de prise de décisions. À cet égard, la Commission intègre depuis plusieurs années l’approche intersectionnelle de la discrimination dans ses travaux et représentations. Une telle approche permet de prendre en compte les diverses interactions que peuvent avoir différents facteurs de discrimination dans une même situation[31]. En fait, l’approche intersectionnelle de la discrimination consiste à considérer « la complexe articulation des identités et des inégalités multiples »[32].

Les femmes des minorités visibles, les jeunes des minorités visibles, les femmes autochtones ainsi que les jeunes adultes autochtones, par exemple, mais aussi les membres de ces groupes en situation de handicap et les personnes LGBTQ+, sont susceptibles d’être encore plus absents des conseils d’administration.

Une analyse approfondie des procédures et mécanismes de nomination et des barrières systémiques pouvant freiner l’accès de personnes membres de ces groupes semble ainsi nécessaire afin d’envisager l’atteinte de l’égalité réelle dans l’accès à ces fonctions de haute responsabilité. L’enjeu demeure dans le fait d’appréhender dans ces milieux de travail et de prises de décisions la discrimination systémique à travers l’ensemble des motifs en cause dans les dynamiques qui les provoquent ou qui y contribuent, que ce soit la « race », la couleur, l’origine ethnique ou nationale, l’âge, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, le handicap ou le croisement de plusieurs de ces motifs[33]. Il n’est donc pas question ici de hiérarchiser les motifs de discrimination visés, mais de les considérer dans leur entrecroisement complexe afin de comprendre la situation de discrimination singulière vécue et d’y remédier.

Conclusion 

Afin de respecter l’esprit de la Charte et le principe de l’accès à l’égalité, la Commission formule certaines suggestions en ce qui concerne le projet de loi n° 4, Loi renforçant la gouvernance des sociétés d’État et modifiant d’autres dispositions législatives et plus largement, en ce qui a trait à l’encadrement de la présence de groupes protégés par la Charte au sein des conseils d’administration des sociétés d’État. Ces suggestions se résument comme suit:

  • La Commission suggère que le gouvernement québécois prenne en compte le principe de l’accès à l’égalité pour évaluer et établir, dans le cadre de la nomination des membres des conseils d’administration des sociétés d’État, les cibles de représentation des femmes en fonction de leur taux de disponibilité dans les emplois de haut niveau de manière à rattraper leur retard accumulé dans l’accès à de telles fonctions. De plus, elle invite le gouvernement à procéder à une analyse du système de nomination et à appliquer des mesures correctives en s’inspirant des mesures de base des programmes d’accès à l’égalité en emploi. Un échéancier devrait également être fixé afin d’atteindre ces cibles dans un délai raisonnable. L’ensemble de ces mesures permettront de lever durablement les barrières systémiques qui ont contribué à la sous-représentation de ce groupe visé.
  • La Commission interpelle également le législateur afin qu’il considère l’ajout, dans le projet de loi, de dispositions relatives à la représentation des membres des minorités visibles et des personnes autochtones dans la composition des conseils d’administration des sociétés d’État. Une telle recommandation s’inscrirait d’ailleurs dans la droite ligne des constats effectués par le Groupe d’action contre le racisme sur la situation de ces groupes. La Commission suggère que le gouvernement québécois calcule les cibles de représentation des membres de ces deux groupes visés en fonction de leur taux de disponibilité dans les emplois de haut niveau de manière à rattraper leur retard accumulé dans l’obtention de nominations dans les conseils d’administration. Elle estime que le gouvernement devrait, ici aussi réaliser une analyse du système et des mécanismes de nomination et s’inspirer des mesures de base en matière d’accès à l’égalité, notamment celles relatives au redressement de la situation des membres de groupes historiquement discriminés dans les milieux de prise de décisions. Un échéancier devrait également être fixé afin d’atteindre, dans un délai raisonnable, les cibles de représentation de ces groupes visés.
  • De la même manière que pour ces groupes, la Commission conseille de prendre en compte les personnes en situation de handicap dans la composition des conseils d’administration des sociétés d’État.
  • La Commission propose que le gouvernement se penche plus avant sur le caractère intersectionnel de la discrimination ou sur l’impact du croisement des motifs de discrimination, tels que la « race », la couleur, l’origine ethnique ou nationale, l’âge, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, le handicap, dans les milieux de prise de décisions que constituent les conseils d’administration.
  • En outre, la Commission conseille au gouvernement d’éviter l’usage de termes tels que « identité culturelle » et d’avoir plutôt recours, tant dans la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État que dans la politique qui l’accompagne, aux mêmes termes d’usage que ceux des lois, règlements, décrets et programmes en matière d’accès à l’égalité. Elle suggère de nommer explicitement les groupes dont la politique entend corriger prioritairement la situation de sous-représentation discriminatoire.
  • À cet égard, la Commission estime que cette politique gouvernementale devrait reposer sur l’approche intersectionnelle pour mieux prendre en compte les particularités socio-démographiques, socio-économiques, genrées etc. des sous-groupes racisés et des communautés autochtones les plus discriminés. Par ailleurs, le gouvernement devrait veiller à la participation des personnes concernées dans l’élaboration de cette politique et à une reddition de compte des plans d’action qui l’accompagneraient. Ces groupes devraient aussi être identifiés nommément dans le texte même de la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État et le projet de loi devrait être modifié dans le même sens.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments distingués.

La Vice-présidente, responsable du mandat Charte

Myrlande Pierre

c.c.
Monsieur Éric Girard
Ministre des finances
Ministère des Finances du Québec
390, boulevard Charest Est
Québec (Québec) G1K 3H4
ministre@finances.gouv.qc.ca

Mme Stéphanie Pinault-Reid
Secrétaire de la Commission des finances publiques
Commission des finances publiques
cfp@assnat.qc.ca


[1] Ci-après « Commission »

[2] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C -12, art. 71(6°) et 56, al. 3 (ci-après « Charte »).

[3] Projet de loi n° 4, Loi renforçant la gouvernance des sociétés d’État et modifiant d’autres dispositions législatives, présenté le 26 octobre 2021 (ci-après « projet de loi »).

[4] Loi modifiant la Charte des droits et libertés de la personne, L.Q. 1982, c. 61, art. 21.

[5] Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics, RLRQ, c. A -2.01 (ci-après « LAÉE »).

[6] Gouvernement du Québec, Le racisme au Québec : tolérance zéro, Rapport du Groupe d’action contre le racisme, Québec, 2020, p. 25, [En ligne]. Le racisme : tolérance Zéro (quebec.ca)

[7] Politique favorisant la constitution de conseils d’administration des sociétés d’État dont l’identité culturelle des membres reflète les différentes composantes de la société québécoise, décret 1504-2021, G.O. II, 22 décembre 2021, p.7613, remplaçant la politique du même nom prévue au décret n° 1215-2011, G.O. II, 30 novembre 2011, p. 5664, ci-après « politique sur l’identité culturelle »).

[8] Loi sur la gouvernance des sociétés d’État, RLRQ, c. G -1.02 (ci-après « la Loi »). L’article 3.5 serait introduit par l’article 3 du projet de loi.

[9] Article 3 du projet de loi.

[10] Centre d’études ethniques des universités montréalaises, Le Québec et les programmes d’accès à l’égalité : Un rendez-vous manqué ? Analyse critique de l’évolution des programmes d’accès à l’égalité depuis 1985, Marie-Thérèse Chicha et Éric Charest, 2013, p. 75. Voir également l’article 14 de la LAÉE, qui prévoit notamment qu’un « programme d’accès à l’égalité en emploi ne peut obliger un organisme :

1° à engager des personnes qui ne sont pas compétentes ou à leur donner une promotion ;

2° à engager des personnes ou à leur donner une promotion sans égard au mérite dans le cas où une convention collective ou les pratiques établies exigent que la sélection soit faite au mérite ;

3° à porter atteinte d’une manière indue aux intérêts de l’organisme ou des personnes qui n’appartiennent pas à un groupe visé […] ».

[11] Charte, article 86. Précisons la perspective d’égalité réelle mise de l’avant dans les programmes d’accès à l’égalité se distingue d’une perspective d’égalité formelle :

« L’égalité réelle tient compte des inégalités entre les personnes et conçoit qu’un traitement différent puisse être nécessaire pour réaliser pleinement l’égalité. Elle s’attarde à l’effet discriminatoire créé par certaines normes et pratiques en apparence neutres. Elle recherche en somme une égalité de fait. En ce sens, l’égalité réelle se distingue de l’égalité formelle, laquelle applique un traitement identique à des situations inégalitaires, ne permettant pas ainsi à tous d’atteindre une véritable égalité ». Voir Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesseMémoire à la Commission des relations avec les citoyens de l’Assemblée nationale sur le document intitulé Vers une nouvelle politique québécoise en matière d’immigration, de diversité et d’inclusion — Cahier de consultation, (Cat. 2.120-7.30), 2015, p. 23.

[12] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Gestion PAÉE. Mesures d’accès à l’égalité en emploi, 2019.

[13] Voir par exemple pour le secteur de l’emploi l’article 13 de la LAÉE qui se lit comme suit :

  1. Un programme d’accès à l’égalité en emploi vise à augmenter la représentation des personnes faisant partie de chaque groupe qu’il vise et à corriger les pratiques du système d’emploi.

Un programme comprend les éléments suivants :

1° une analyse du système d’emploi, plus particulièrement les politiques et pratiques en matière de recrutement, de formation et de promotion ;

2° les objectifs quantitatifs poursuivis, par type ou regroupement de types d’emploi, pour les personnes faisant partie de chaque groupe visé ;

3° des mesures de redressement temporaires fixant des objectifs de recrutement et de promotion, par type ou regroupement de types d’emploi, pour les personnes faisant partie de chaque groupe visé ;

4° des mesures d’égalité de chances et des mesures de soutien, le cas échéant, pour éliminer les pratiques de gestion discriminatoires ;

5° l’échéancier pour l’implantation des mesures proposées et l’atteinte des objectifs fixés ;

6° des mesures relatives à la consultation et à l’information du personnel et de ses représentants ;

7° l’identification de la personne en autorité responsable de la mise en œuvre du programme.

[14] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunessepréc., note 12, p. 6. Ces groupes sont les femmes, les Autochtones, les minorités visibles, les minorités ethniques et les personnes handicapées.

[15] Secrétariat aux emplois supérieurs, Rapport sur la parité entre les femmes et les hommes au sein des conseils d’administration de l’ensemble des sociétés d’État visées par la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État, Ministère du Conseil exécutif, Québec, 2020.

[16] Voir notamment : Osler, 2020 Diversity Disclosure Practices. Diversity and leadership at Canadian public companies, Andrew MacDougall, John Valley et Jennifer Jeffrey, 2020, p. 11; Institut de recherche et d’informations socioéconomiques, De l’importance de la diversité sur les CA des sociétés d’État, Billet, Rémy-Paulin Twahirwa, 22 août 2019, [En ligne]. De l’importance de la diversité sur les CA des sociétés d’État – Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (iris-recherche.qc.ca); DiversitéEntête, Les femmes et les minorités visibles occupant des postes de leadership : profil du Montréal métropolitain, Rapport 2015, Institut de la diversité de l’Université Ryerson et Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill, 2016, p. 4.

[17] Gouvernement du Québec, préc., note 6, p. 25.

[18] Id.

[19] Cabinet du ministre responsable de la Lutte contre le racisme, Premier anniversaire du rapport du Groupe d’action contre le racisme – Le gouvernement du Québec rend compte de ses réalisations en matière de lutte contre le racisme et la discrimination, 9 décembre 2021, [En ligne]. https://www.newswire.ca/fr/news-releases/premier-anniversaire-du-rapport-du-groupe-d-action-contre-le-racisme-le-gouvernement-du-quebec-rend-compte-de-ses-realisations-en-matiere-de-lutte-contre-le-racisme-et-la-discrimination-862074392.html

[20] Id.

[21] Ministère du Conseil exécutif, Rapport sur l’évolution de la représentation des personnes dont l’identité culturelle reflète les différentes composantes de la société québécoise au sein des conseils d’administration de l’ensemble des sociétés d’État visées par la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État, 31 décembre 2019, rendu public sur le site du Ministère du conseil exécutif dans le cadre de la demande d’accès à l’information 2021-164, 12 février 2021, [En ligne]. https://www.acces.mce.gouv.qc.ca/documents-publies-ministere/demandes-acces/documents-transmis/2021/2020-21-164.pdf.

[22] Id., p. 1.

[23] Id., p. 2.

[24] Politique sur l’identité culturelle, 2021, préc., note 7.

[25] Cabinet du ministre responsable de la Lutte contre le racisme, préc., note 19, p. 1.

[26] Lettre du Groupe d’action contre le racisme, 14 décembre 2020, dans Gouvernement du Québec, préc., note 6.

[27] Voir notamment : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Mémoire à l’Office de consultation publique de Montréal dans le cadre de la consultation publique sur le racisme et la discrimination systémiques, (Cat. 2.120-1.35), 2019, p. 29-30.

[28] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Mémoire à la Commission des institutions de l’Assemblée nationale – Projet de loi n° 39, Loi établissant un nouveau mode de scrutin, (Cat. 2.412.30.5), 2020, p. 36.

[29] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Bilan de la mise en œuvre des recommandations du Rapport de la consultation de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse sur le profilage racial et ses conséquences, Me Evelyne Pedneault, Amina Triki-Yamani et al., 2020, p. 30 et 270.

[30] Les personnes en situation de handicap représentent, en date du 30 octobre 2020, 0,9 % des effectifs des 24 sociétés d’État (sur 26) ayant transmis leurs données à la Commission. Parmi elles, 0,3 %, soit une seule personne en situation de handicap, occupe un emploi de cadre supérieur et 0,7 %, soit 26 personnes en situation de handicap ont un emploi de cadre intermédiaire. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Rapport annuel du groupe visé des personnes handicapées 2021, Loi sur l’accès à l’égalité dans des organismes publics, 2021, p. 41-42.

[31] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 27, p. 16.

[32] Sirma Bilge, « Théorisations féministes de l’intersectionnalité », (2009) 225(1) Diogène 3.

[33] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 27, p. 17.