Lutte à l’intimidation et liberté d’expression : précisions de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse
Montréal, le 16 décembre 2014
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a rendu public, le 2 décembre 2014, un mémoire portant sur l’intimidation, adopté à l’unanimité par ses membres, répondant ainsi à l’appel du gouvernement dans le cadre du Forum sur la lutte contre l’intimidation. Dans ce mémoire, elle propose au gouvernement l’ajout d’une disposition à la Charte des droits et libertés de la personne interdisant l’incitation publique à la haine pour un motif interdit de discrimination.
La Commission, une institution indépendante du gouvernement, tient ici à rassurer la population québécoise sur le fait que la disposition proposée ne vise aucunement à limiter la liberté d’expression, ni à empêcher l’expression de quelques critiques que ce soit. Elle ne vise que l’incitation publique à la haine, ce qui est autre chose.
Il est important de rappeler que la Charte n’établit aucune hiérarchie entre les droits qu’elle protège. Ainsi, la liberté d’expression a la même valeur juridique que le droit à la liberté de religion et de conscience. En effet, la Charte constitue un ensemble cohérent de libertés et droits universels, indivisibles, interdépendants et interreliés, qui doivent être interprétés comme tel.
La même logique s’applique aux motifs de discrimination interdits par la Charte, qui visent des caractéristiques personnelles, c’est-à-dire des caractéristiques propres à une personne. Celles-ci peuvent être immuables ou difficilement modifiables, telles que la race, la couleur, le sexe, l’origine ethnique ou le handicap, ou encore peuvent changer au fil du temps, comme les convictions politiques, la langue, la religion ou la condition sociale.
De plus, la liberté de religion n’a jamais été interprétée comme la liberté des religions, au sens où ce droit fondamental de la personne offrirait une protection aux traditions religieuses et à leurs institutions. Au contraire, la liberté de religion protège les personnes plutôt que leurs croyances.
Dans le cadre d’une réflexion qu’elle a menée en 1994 sur les mouvements racistes et la Charte, la Commission s’est intéressée à la question des propos qui incitent publiquement à la discrimination. À l’époque, elle avait constaté plusieurs événements inquiétants, dont la distribution de tracts haineux et des agressions contre des personnes appartenant à des groupes racisés ou ethniques. Elle avait alors recommandé au législateur d’introduire dans la Charte une disposition qui interdise l’incitation publique à la discrimination
Cette question apparaît à nouveau pertinente puisque les discours ou propos haineux, méprisants ou dégradants, qui ont pour effet d’encourager ou de légitimer certaines pratiques discriminatoires ciblant les membres de groupe en raison de caractéristiques communes, telles que l’orientation sexuelle, l’origine ethnique, le sexe ou la religion, peuvent constituer des formes d’intimidation. Elle l’est d’autant plus dans un contexte marqué par l’utilisation croissante des technologies de l’information et de la communication, qui permettent d’accroitre la capacité des auteurs de ces propos à se joindre et à unir leurs efforts ainsi qu’à un plus grand public d’avoir accès aux propos haineux, dont les traces restent même lorsque les propos sont retirés d’un site donné.
La proposition de la Commission porte sur les propos haineux et il est important de les distinguer de propos critiques, par exemple à l’endroit d’une religion ou d’une conviction politique. En effet, des propos qui incitent à la haine constituent les propos les plus extrêmes qui sont susceptibles d’inciter ou d’inspirer un traitement discriminatoire.
Actuellement, la compétence de faire enquête de la Commission en matière de communications publiques qui contiennent des propos discriminatoires, au sens de l’article 10 de la Charte, est limitée aux propos qui compromettent le droit à la sauvegarde de la dignité, de l’honneur et de la réputation d’une personne identifiée ou identifiable, conformément à l’article 4 de la Charte, c’est-à-dire lorsque le préjudice est personnel et individualisé.
Toutefois, sa compétence d’enquête ne lui permet pas d’intervenir s’il n’y a pas de personne identifiée ou identifiable. Par exemple, au milieu des années 90, elle n’a pas eu la capacité de traiter la plainte d’une personne dénonçant les gestes haineux de membres de groupes néo-nazis.
Encore aujourd’hui, elle n’aurait pas compétence pour intervenir contre le propriétaire d’un site Internet qui publie un article affirmant que le VIH/sida est propagé essentiellement par les personnes de race noire; ni dans le cas de la publication d’un tract accusant les homosexuels de faire subir des sévices sexuels aux enfants dans les écoles. Il en va de même des plaintes de femmes atteintes dans leur dignité, lorsqu’un utilisateur de Facebook lance une campagne soi-disant humoristique appelant au viol des féministes.
La Commission rappelle que son mandat provient de la Charte, une loi quasi constitutionnelle adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en 1975, qui reconnaît que tous les individus sont égaux en valeur et en dignité. C’est dans cette perspective que la Commission travaille à la promotion et à la défense des droits et libertés.
Jacques Frémont
Président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse assure le respect et la promotion des principes énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Elle assure aussi la protection de l’intérêt de l’enfant, ainsi que le respect et la promotion des droits qui lui sont reconnus par la Loi sur la protection de la jeunesse. Elle veille également à l’application de la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics.