Passer au contenu principal
Politique de protection des renseignements personnels

Ce site utilise des témoins de navigation afin de vous offrir une expérience optimale.

En savoir plus
A A A

Où souhaitez-vous
partager cette page?

1 novembre 2017Communiqués

La protection des droits économiques et sociaux et la Charte des droits et libertés de la personne

Allocution prononcée le 25 octobre 2017 par Me Claire Bernard, directrice adjointe à la recherche de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, à l’occasion de la Journée de réflexion sur le revenu minimum garanti organisée conjointement par le Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, le Conseil du statut de la femme et la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Bonjour,

Au nom de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, permettez-moi, à mon tour, de vous souhaiter la bienvenue à cette journée de réflexion sur le revenu minimum garanti. C'est important de se donner des moments d'échange et la Commission est heureuse de pouvoir y participer.

La Commission est un organisme indépendant constitué par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. La Charte lui confère la mission d'assurer, par toutes mesures appropriées, le respect et la promotion des principes qui y sont énoncés. C'est dans ce cadre que, depuis plus de 40 ans, la Commission lutte contre la discrimination fondée entre autres sur la condition sociale. Nos travaux visent également à assurer la promotion et le respect des droits et libertés de la personne, entre autres en matière de pauvreté, d'aide sociale, de logement, d'itinérance et de profilage social, de santé et de services sociaux ou encore d'éducation.

La Commission n'a jamais pris position sur l'idée précise d'un revenu minimum garanti. L'objectif de la journée est d'abord d'échanger et de réfléchir aux enjeux qui se posent dans une perspective de respect et de promotion des droits et libertés de la personne.

Rappelons que la Charte a un statut particulier dans la hiérarchie des lois. Sauf exception, elle doit prévaloir sur les autres lois québécoises.

Retenons également que la Charte lie l'État québécois. Les actes et les décisions de l'État « ne peuvent donc avoir pour effet de porter atteinte à l'un ou l'autre des droits garantis par la Charte ». À moins de précisément vouloir y faire exception, la mise en œuvre d'un projet de revenu minimum garanti devrait donc être conforme à la Charte.

C'est sur cette base que la Commission juge pertinent de participer à la réflexion.

Différents principes liés au respect des droits et libertés de la personne doivent ainsi être pris en compte. Parmi ceux-ci, nous en avons retenu trois sur lesquels nous aimerions plus particulièrement attirer votre attention :

  1. la pauvreté est un obstacle à la reconnaissance des droits et libertés de la personne protégés par la Charte;
  2. il est nécessaire de renforcer la protection des droits économiques et sociaux énoncés dans la Charte québécoise, incluant le droit à un niveau de vie décent;
  3. le Québec s'est engagé à ne pas adopter de mesure qui aurait un effet de recul sur la protection des droits prévus au PIDESC.

1. Pauvreté et droits de la personne

La première pierre d'assise qui devrait fonder notre réflexion c'est que la pauvreté est une question de droit. La pauvreté constitue un déni des droits de la personne. Elle constitue un obstacle à la reconnaissance des droits et libertés protégés par la Charte. Un niveau de vie décent est donc un prérequis à l'exercice effectif ou réel de tous les droits et libertés de chacun.

Au besoin, ce niveau de vie décent doit être garanti par des mesures financières et sociales. Parmi tous les droits qu'elle protège, la Charte énonce le droit, pour toute personne dans le besoin et sa famille, à des mesures d'assistance financière et à des mesures sociales, qui lui assure un niveau de vie décent.

En matière de pauvreté, on peut aussi invoquer plus directement plusieurs autres droits protégés par la Charte, entre autres :

  • le droit à la vie, à la sûreté, à l'intégrité et à la liberté de sa personne, particulièrement en ce qui a trait aux questions de santé;
  • le droit à la sauvegarde de sa dignité;
  • le droit au respect de sa vie privée;
  • le droit de conclure un acte juridique ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public, un logement par exemple;
  • le droit d'avoir accès aux moyens de transport ou aux lieux publics, ce qui inclut par exemple le droit de s'y trouver sans être victime de profilage social;
  • le droit des enfants à la protection de leurs parents;
  • le droit à l'instruction publique gratuite;
  • ou encore le droit à des conditions de travail justes et raisonnables, qui pourrait par exemple être mis en cause par le Programme objectif emploi.

La Charte garantit également le droit à l'égalité. Son préambule le souligne : « tous les êtres humains sont égaux en valeurs et en dignité et ont droit à une égale protection de la loi ».Elle protège ainsi contre la discrimination fondée entre autres sur la condition sociale, par exemple dans le cadre d'une mesure d'aide sociale, lors d'une entrevue d'embauche ou en milieu de travail, au moment de louer un logement ou encore à l'encontre du profilage social dans l'espace public.

La condition sociale c'est le rang ou la place qu'on occupe dans la société en raison de sa naissance, de son revenu, de son niveau d'éducation ou encore de son emploi. Notre condition sociale réfère à tout un ensemble de circonstances ou d'événements qui font qu'on occupe telle ou telle position dans la société. La condition sociale réfère aussi aux perceptions, aux préjugés ou aux stéréotypes qui sont associés au niveau de revenu, au niveau d'éducation ou au fait d'être sans emploi. Être en situation de pauvreté, être inscrit à un programme d'aide sociale ou être un travailleur ou une travailleuse à statut précaire fait partie de la condition sociale.

Il faut aussi retenir que la discrimination peut être fondée sur plus d'un motif. On le sait, la pauvreté touche plus particulièrement certaines catégories de la population : les personnes aux prises avec un problème de santé, incluant un problème de santé mentale, les Autochtones, les personnes racisées, les personnes immigrantes, les femmes et encore plus particulièrement les femmes âgées ou les femmes cheffes de famille monoparentale. La discrimination fondée sur la condition sociale est donc souvent intimement liée à d'autres motifs de discrimination tels que le handicap, le sexe ou encore l'origine ethnique ou nationale.

Il faut prendre en compte ces interactions entre différents motifs de discrimination pour reconnaître l'expérience particulière que vivent les personnes visées et, ainsi, remédier à la discrimination. À titre d'exemple, quels obstacles particuliers se dressent pour une femme autochtone en situation de pauvreté, pour un jeune aux prises avec un problème de santé mentale et qui n'arrive pas à trouver un emploi, pour une personne immigrante dont les diplômes ne sont pas reconnus, pour une femme monoparentale racisée qui doit payer trop cher pour un loyer trop petit et insalubre, etc. C'est ce qu'on appelle l'approche intersectionnelle de la discrimination et, pour la Commission, il est important d'en tenir compte aujourd'hui, particulièrement dans les ateliers thématiques.

2. Effectivité des droits

Le deuxième principe sur lequel la Commission aimerait insister, c'est la nécessité de renforcer la protection des droits économiques et sociaux énoncés dans la Charte québécoise, incluant le droit à un niveau de vie décent. Nous l'avons déjà souligné : « Face à la pauvreté, la mise en œuvre des droits économiques et sociaux apparaît […] comme l'un des enjeux de droits majeurs de notre époque ».

Pendant longtemps, les droits économiques et sociaux ont eu un statut inférieur aux autres droits. Le chapitre des droits économiques et sociaux de la Charte a d'ailleurs souvent été interprété ainsi, notamment par les tribunaux.

Cela dit, il est maintenant largement reconnu que ces distinctions et ces restrictions n'ont pas lieu d'être. Mme Louise Arbour, qui a notamment été juge à la Cour suprême et Haut-Commissaire des Nations-Unies aux droits de l'homme, le confirme : « Quelles qu'aient été les raisons pour remettre en question, il y a 60 ans, le statut égal […]des droits économiques, sociaux et culturels, une chose est claire : de nos jours, il n'y a aucun fondement aux exclusions par catégories [de droits]. Les droits ne doivent pas être hiérarchisés entre eux. Ils forment plutôt un ensemble cohérent et interdépendant.

Mme Arbour ajoute que « les droits de la personne reflètent un consensus international quant aux conditions essentielles [qu'il faut pour vivre] une vie […] dans la dignité ». Ils« ne sont pas un idéal utopique ».

Pour donner véritablement effet aux droits protégés par la Charte, il faut par ailleurs tenir compte du contexte social dans lequel nous vivons et des obstacles qui se posent dans l'exercice de ces droits. Mentionnons par exemple les préjugés qui mènent à ignorer les causes structurelles et sociales de la pauvreté. Les solutions dépassent la volonté individuelle des personnes en situation de pauvreté. Elles doivent être fondées sur les droits, dans une perspective systémique.

3. Assurer progressivement les droits

Enfin, le troisième principe de base que la Commission aimerait introduire à la réflexion nous vient du droit international, plus particulièrement du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ce qu'on appelle en bref le PIDESC. C'est le principe de non-régression dans la garantie des droits. Je m'explique.

En vertu de ce pacte international, le Québec s'est engagé à reconnaître le droit de toute personne « à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence ».

Toujours en vertu de ce pacte international, le Québec s'est engagé à agir, au maximum de ses ressources disponibles, pour assurer progressivement le plein exercice des droits qui y sont reconnus par tous les moyens appropriés. Et cela inclut le droit à un niveau de vie suffisant.

Or, « assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le [PIDESC] » implique de ne pas adopter de mesure régressive relativement à ceux-ci. On ne doit pas reculer dans la protection des droits et libertés de la personne. Le Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU le confirme, sauf exception, on ne peut adopter« une mesure qui marque directement ou indirectement un retour en arrière au regard des droits reconnus dans le Pacte ». De même, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU ajoute que « si un État partie prend une mesure délibérément rétrograde [par exemple, en matière de sécurité du revenu], il lui appartient de prouver qu'il l'a fait après avoir mûrement pesé toutes les autres solutions possibles et que cette mesure est pleinement justifiée [face] à l'ensemble des droits visés dans le Pacte […] ».

Il faut en tenir compte dans la réflexion entourant l'idée de mettre en œuvre un revenu minimum garanti.

En vous remerciant de votre attention, je nous souhaite bonne réflexion.



Document lié : Compte rendu de la Journée de réflexion sur le revenu minimum garanti