Outil d'aide au traitement des dossiers : le profilage discriminatoire
Mise en garde Cet outil ne tient pas lieu d’avis juridique et ne couvre que les situations les plus couramment rencontrées. Date de sa dernière mise à jour: Mai 2023. |
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Cadre légal
CHARTE DES DROITS ET LIBERTÉS DE LA PERSONNE
(RLRQ, c. C-12)
Selon le contexte dans lequel il aura été exercé, le profilage entraînera une atteinte discriminatoire (article 10) à un ou à plusieurs des droits protégés par la Charte. À cet effet, les articles pouvant être invoqués sont notamment :
Art. 4 (dignité).
Art. 1 (droit à la vie, à sa sécurité, à son intégrité et à la liberté de sa personne).
Art. 3 (liberté d’expression et liberté de réunion pacifique).
Art. 5 (droit au respect de sa vie privée).
Art. 12 (refus de conclure un acte juridique).
Art. 15 (accès aux moyens de transport, aux lieux publics).
Art. 16 (discrimination en emploi).
Ainsi que les droits judiciaires principalement applicables lors d’une intervention policière : art 24, 24.1, 25 et 28.
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Définition du profilage
Le profilage désigne toute action prise par une ou des personnes en situation d'autorité à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes, pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public, qui repose sur des facteurs d'appartenance réelle ou présumée, tels la race, la couleur, l'origine ethnique ou nationale ou la religion, sans motif réel ou soupçon raisonnable, et qui a pour effet d'exposer la personne à un examen ou à un traitement différentiel.
Le profilage inclut aussi toute action de personnes en situation d'autorité qui appliquent une mesure de façon disproportionnée sur des segments de la population du fait, notamment, de leur appartenance raciale, ethnique ou nationale ou religieuse, réelle ou présumée. D’autres motifs énumérés à l’article 10 de la Charte peuvent également être pris en considération.
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La preuve de profilage en demande
Le profilage discriminatoire est une forme particulière de discrimination. Le test de l’article 10 de la Charte s’applique.
Les tribunaux spécialisés en droit de la personne ont identifié plus précisément les éléments devant être prouvés par le demandeur dans les cas allégués de profilage discriminatoire :
- La partie plaignante est membre d’un groupe caractérisé par un motif interdit de discrimination.
- La partie plaignante, dans l’exercice d’un droit protégé par la loi, a été l’objet d’un traitement différencié ou inhabituel de la part de la personne en autorité.
- Un motif interdit de discrimination a été l’un des facteurs ayant mené cette personne à appliquer ce traitement.
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La preuve des défendeurs
La partie en défense doit successivement (à chaque étape de l’intervention) convaincre le Tribunal que chacune de ses interventions :
- était fondée sur des motifs raisonnables.
- n’était pas influencée par l’un ou l’autre des motifs interdits de discrimination.
- ne constituait pas un traitement différencié ou inhabituel.
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Notion applicable à la preuve de profilage
- La notion de profilage nécessite la preuve qu’un motif interdit de discrimination a été l’un des facteurs ayant mené la personne en autorité à exercer son pouvoir discrétionnaire d’une façon abusive.
- Le profilage peut s'opérer consciemment ou de façon inconsciente (notion du préjugé inconscient). L’intention de discriminer n’est pas un élément pertinent de la preuve. Toutefois la preuve d’intention permet de réclamer des dommages punitifs.
- La preuve circonstancielle est souvent nécessaire. Celle-ci servira, notamment, a révélé la présence, le cas échéant, de préjugés conscients ou inconscients ayant influencé le pouvoir discrétionnaire de l’autorité en cause.
- Le contexte social est souvent pertinent dans le cadre d’une preuve de profilage. Il servira de toile de fond à la preuve de profilage.
- L’intersectionnalité des motifs de discrimination doit être prise en considération dans l’évaluation de la preuve de profilage.
- Il n’est pas nécessaire que tous les membres d’un groupe protégé soient visés.
- Le profilage discriminatoire vécu sur une base individuelle trouve bien souvent sa source dans une dynamique de discrimination systémique. Il est important d’en tenir compte dans la preuve de profilage.
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Indices de traitements différenciés (exemples)
- Écarts de conduite ou comportements inadéquats tels que le manque de courtoisie et l'intransigeance de la personne en autorité.
- Propos discriminatoires.
- Interventions (poursuites, arrestations, détentions, etc.) effectuées sans motif raisonnable, ou de manière excessive compte tenu des circonstances.
- Usage de la force par la personne en autorité qui est disproportionnée à la résistance du plaignant.
- Toute démonstration voulant que - dans des situations similaires - les individus généralement non profilés ne subissent pas le même traitement que les membres, réels ou présumés, de groupes qui le sont.
- Explications contradictoires ou invraisemblables de la part du mis en cause.
- Le contexte social.
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Préjugés reconnus (exemples)
- Motifs race/couleur, origine ethnique ou nationale : Pour les personnes racisées et les personnes autochtones, plusieurs préjugés ont été reconnus dans la jurisprudence notamment, ceux de les associer à la criminalité ainsi que de les percevoir comme étant des personnes violentes.
- Motif religion : Un des préjugés concernant les personnes de confession musulmane est à l’effet qu’elles sont associées plus facilement aux groupes terroristes.
- Motif handicap : Un des stéréotypes les plus courants à l’égard des personnes ayant un problème de santé mentale est que ces dernières sont plus susceptibles d’adopter des comportements violents, posant ainsi un danger pour les autres.
- Motif condition sociale : Un préjugé lié, par exemple, à la pauvreté ou la perception de cette dernière est celui de l’association plus facile à la criminalité. Aussi, le fait d’être perçue comme une personne itinérante amène le préjugé de « dangerosité » et/ou de « dérangeosité » en ce qu’elle est soit perçue comme dangereuse ou qu’elle allait nécessairement perturber la paix et l’ordre publiques.
- Motif conviction politique : Certaines convictions politiques sont associées à des « causes illégitimes » par les personnes en autorités. Ainsi, les manifestants mettant de l’avant ce type de convictions seront perçus plus facilement comme de mauvais manifestants, des casseurs, des fauteurs de troubles…
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Les recours multiples
- Décision concernant un recours criminel ou pénal contre le mis en cause (verdict de culpabilité) :
La décision doit être considérée comme étant un “fait juridique important” lorsqu’elle reconnaît la culpabilité.
La question de savoir si un plaignant a été reconnu coupable ou l’existence de motifs légaux d’intervention ne peut justifier que l’intervention en cause ait été menée de façon discriminatoire. Ainsi, la question de savoir si un motif de discrimination a mené la personne en autorité à appliquer un traitement différencié constitue une question distincte.
- Décision en déontologie policière sur les mêmes faits :
La décision du Comité de déontologie devra être considérée comme un « fait juridique pertinent ». L’existence de décisions contradictoires est possible puisque le recours n’a pas le même fondement et ce n’est pas le même droit qui est en cause.
- Décision concernant un recours criminel ou pénal contre le mis en cause (verdict de culpabilité) :
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Prescription du recours
La prescription du recours en dommages et intérêts, en raison de faute ou d’illégalité, est de trois (3) ans sauf lorsqu’elle implique toute réclamation contre une municipalité ou l’un de ses fonctionnaires ou employés (notamment les agents de police); elle est alors de 6 mois à compter du jour où le droit d’action a pris naissance (art. 586 de la Loi sur les cités et villes, RLRQ, c. C-19).
Cependant, lorsqu’il y a preuve de préjudice corporel, la prescription applicable est de trois (3) ans. (art. 2925, 2930 C.c.Q.), et ce, même contre une municipalité ou l’un de ses fonctionnaires ou employés.
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Jurisprudence et documents pertinents
Concept du profilage
- Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), [2015] 2 RCS 789, 2015 CSC 39 (CanLII) (Reconnaissance de la définition de profilage de la Commission).
- Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Mensah) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal), 2018 QCTDP 5.
- Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Rezko) Montréal (Service de police de la ville de) (SPVM), 2012 QCTDP 5 (CanLII)
- 2013 QCTDP 6 (CanLII) | Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Dagobert et autres) c Bertrand | CanLII (confirmé en appel, sous réserve de la question des dommages, dans 2014 QCCA 2199)
- 2020 QCTDP 21 (CanLII) | Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (DeBellefeuille) c. Ville de Longueuil | CanLII
- 2021 QCTDP 1 (CanLII) | Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nyembwe) c. Ville de Gatineau | CanLII (requête pour permission d'en appeler rejetée dans 2021 QCCA 339);
- 2022 QCTDP 14 (CanLII) | Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Ducas) c. Ville de Repentigny (Service de police de la Ville de Repentigny) | CanLII
- 2023 QCTDP 13 (CanLII) | Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nkamba) c. Ville de Gatineau | CanLII
- 2023 QCTDP 14 (CanLII) | Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nkamba) c. Ville de Gatineau | CanLII
- 2022 QCCS 3866 (CanLII) | Luamba c. Procureur général du Québec | CanLII
- 2019 QCCS 1796 (CanLII) | Paquette c. Ville de Montréal | CanLII (profilage politique)
Recours multiples
- Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (F.F.) c. Montréal (Ville de) (Service de police de la Ville de Montréal) (SPVM), 2008 QCTDP 23 (CanLII); conf. par 2011 QCCA 519.
- Pierre-Louis c. Québec (Ville de), 2014 QCCA 1554 – concernant l'impact d'une décision du Comité de déontologie.
Documents connexes
- Bilan de la mise en œuvre des recommandations du Rapport de consultation de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse sur le profilage racial et ses conséquences, 2020, COM-684-4.1.1.
- Profilage racial et discrimination systémique des jeunes racisés : Rapport de la consultation sur le profilage racial et ses conséquences, 2011, COM-566-5.1.1.
- La judiciarisation des personnes itinérantes à Montréal : un profilage social, 2009, COM-549-4.