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29 septembre 2021Lettres et allocutions

Présentation de la Commission sur le projet de loi n° 101 visant à renforcer la lutte contre la maltraitance envers les aînés

Voici les notes d'allocution de Philippe-André Tessier, président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse aux Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 101, Loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité ainsi que la surveillance de la qualité des services de santé et des services sociaux. Cette présentation a été faite le 29 septembre 2021 à la Commission des relations avec les citoyens de l'Assemblée nationale.

Madame la Présidente,

Madame la Ministre,

Mesdames et Messieurs les députés,

Je suis Philippe-André Tessier, président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Je suis accompagné de M. Germain Royer, agent d’éducation et de coopération à la Direction de l’éducation-coopération et des communications de la Commission.

La Commission a, entre autres, le mandat de relever les dispositions des lois du Québec qui seraient contraires à la Charte en vue de faire les recommandations appropriées. Comme vous le savez, la Charte consacre à son article 48 le droit des personnes âgées et des personnes en situation de handicap d’être protégées contre toute forme d’exploitation. Le projet de loi n° 101 interpelle ainsi directement la Commission en tant qu’organisme chargé de veiller au respect des droits garantis par la Charte. À ce titre, elle joue un rôle unique au Canada en matière de protection des personnes âgées ou en situation de handicap depuis plus de 40 ans.

En vertu de la Charte, la Commission a la responsabilité spécifique de faire enquête sur les cas d’exploitation de ces personnes et de proposer des moyens de régler ces situations, voire de saisir le Tribunal des droits de la personne pour ce faire. Ce pouvoir s’exerce également à l’endroit de toute plainte relative à une situation de discrimination, qui peut notamment être liée à l’âge ou à la situation de handicap. D’ailleurs, la Commission constate que l’âgisme et le capacitisme, comme formes de discrimination systémique, rendent plus vulnérables certaines personnes à l’exploitation, à la maltraitance et à différentes formes de traitements discriminatoires. Ces phénomènes peuvent de plus prendre des formes particulières à l’intersection de certains motifs de discrimination prohibés, par exemple chez les femmes, les personnes autochtones, les personnes racisées, les personnes immigrantes et les personnes LGBTQ+.

Le mandat de la Commission en matière de protection de personnes en situation de vulnérabilité mène aussi à la production d’avis, études et activités d’éducation. Depuis 2017, la Commission est également partie prenante dans la mise en œuvre de l’Entente-cadre nationale et du processus d’intervention concerté concernant la maltraitance. Elle collabore également à la mise en œuvre de six mesures du Plan d’action gouvernemental 2017-2022 pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées. C’est donc forte de cette expertise que la Commission a procédé à l’analyse du projet de loi n° 101.

La Commission accueille favorablement ce projet de loi. Elle salue tout particulièrement le fait que celui-ci valoriserait le respect de l’autonomie de la personne en situation de vulnérabilité. Pensons par exemple aux dispositions qui prévoient que le suivi donné à toute plainte ou signalement devrait privilégier l’implication de la personne victime de maltraitance à chacune des étapes, et aux articles qui préciseraient que dès que le déclenchement d’un processus d’intervention concerté est envisagé, la personne en situation de vulnérabilité doit être informée des actions qui pourraient être entreprises, de l’appui dont elle pourrait bénéficier et des suites à entrevoir. Toutes ces mesures contribueraient, de l’avis de la Commission, à favoriser l’atteinte d’un équilibre entre le droit de la personne en situation de vulnérabilité d’être protégée contre toute forme d’exploitation et le respect du droit à la liberté, du droit à la sauvegarde de la dignité et du droit à l’information.

La Commission accueille aussi favorablement les dispositions qui modifieraient la Loi sur les services de santé et les services sociaux afin de créer de nouveaux mécanismes d’enquête, mais aussi d’aide et d’accompagnement à l’endroit des résidences privées pour aînés qui éprouvent des difficultés, ainsi que la possibilité de désigner, dans certaines situations, une personne pour assumer l’administration provisoire d’établissements privés non conventionnés, de résidences privées pour aînés et de certaines ressources intermédiaires. Compte tenu des situations qui ont été révélées par la première vague de la pandémie, ces mesures paraissent essentielles afin de protéger les droits à la vie, à la sûreté, à l’intégrité et à la sauvegarde de la dignité des personnes hébergées dans ces établissements.

Certains articles du projet de loi contribueraient aussi à l’amélioration des mécanismes de reddition de compte et à la transparence des actions de lutte contre la maltraitance vis-à-vis des personnes qui reçoivent des services de santé et des services sociaux. Parmi ces mesures, mentionnons celles visant à rendre le directeur général de l’établissement responsable de prendre les moyens nécessaires afin de faire cesser tout cas de maltraitance porté à sa connaissance, ainsi que celles destinées à favoriser la diffusion des politiques de lutte contre la maltraitance et à détailler les informations devant apparaitre dans le bilan annuel du commissaire local aux plaintes. Comme le soulignait la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées dans son mémoire sur le projet de loi n° 115, des mécanismes de suivi des signalements transparents et efficaces contribuent à prévenir et contrer la maltraitance en milieu d’hébergement.

La Commission estime également que l’ajout de sanctions pénales à l’encontre de personnes physiques ou morales qui imposeraient des mesures de représailles à l’endroit de personnes dénonciatrices, ou contre toute personne qui entraverait le travail d’un enquêteur ou d’un inspecteur, pourrait contribuer à renforcer la protection des personnes victimes de maltraitance.

La Commission s’interroge toutefois sur la portée et les effets potentiels sur les droits de certaines dispositions du projet de loi. Elle se questionne tout d’abord sur l’opportunité d’imposer des sanctions pénales applicables au défaut de procéder à un signalement obligatoire. Cette question avait déjà fait l’objet de débats lors de l’étude du projet de loi n° 115, en 2017, et plusieurs intervenants s’opposaient à cette initiative. Les études consultées par la Commission tendent d’ailleurs à montrer que de telles mesures n’ont pas un impact déterminant, voire qu’elles peuvent engendrer une variété d’effets difficiles à anticiper, notamment sur la relation de confiance entre les personnes concernées et les institutions.

En 2017, certains intervenants s’inquiétaient des risques que pourrait entraîner l’obligation faite à un professionnel de signaler, sans le consentement de la personne, une situation perçue comme étant potentiellement de la maltraitance, par exemple lorsqu’on pense que celle-ci serait le fait d’un proche. Le signalement obligatoire, s’il peut contribuer à protéger les droits de la personne vulnérable, peut aussi, suivant les circonstances, mener à une infantilisation de celle-ci ou constituer une forme d’âgisme lorsque l’on cherche à protéger la personne contre son gré. En étendant notamment la portée du signalement obligatoire aux résidences privées pour aînés, le projet de loi pourrait accroître ces risques. Une personne âgée vivant en résidence privée peut en effet être complètement apte à prendre des décisions qui la concernent, même si elle a besoin d’assistance dans certaines sphères de sa vie. En ce sens, la Commission invite le législateur à prendre en compte, dans l’étude du projet de loi, le nécessaire équilibre qui doit être recherché entre le besoin de protection et le respect de l’autonomie et de la volonté de la personne.

Pour favoriser l’atteinte d’un tel équilibre, la Commission privilégie l’accompagnement, la concertation et la prévention à l’intervention de force, comme elle le disait notamment dans son mémoire sur le projet de loi n° 115. Ce type d’approche est aussi privilégié par la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées et par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies pour la réalisation du droit à la santé des personnes âgées, droit qui est protégé par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, auquel le Québec s’est déclaré lié.

Les mesures de concertations qu’offrent les processus d’intervention concertés (PIC) constituent d’ailleurs, de l’expérience de la Commission, d’excellents moyens de s’assurer que tous les types de situations qui pourraient constituer de la maltraitance ou de l’exploitation fassent l’objet d’un examen approprié et bénéficient de l’expertise requise. Le projet de loi viendrait d’ailleurs donner plus de souplesse à ces processus.

Par ailleurs, on peut se demander si une meilleure connaissance des dispositions visant à protéger les professionnels de mesures de représailles ne permettrait pas d’atteindre l’objectif poursuivi par l’imposition de sanctions pénales liées au défaut de signalement. À l’heure actuelle, les craintes des personnes usagères, des familles et des employés du réseau de subir des représailles persistent, selon une consultation menée par le Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale (CREGÉS) en 2018. Pour répondre à ces craintes et encourager le signalement, il pourrait être envisagé d’ajouter au projet de loi, parmi les éléments que doit notamment indiquer toute politique de lutte contre la maltraitance, les mesures de protection dont peut bénéficier toute personne qui effectue, de bonne foi, une plainte ou un signalement ou qui collabore à leur examen ou leur traitement. La politique-cadre et les outils de révision des politiques publiés en 2020 vont d’ailleurs déjà dans ce sens. Une plus grande promotion de ces mesures de protection renforcerait le message à l’effet que la dénonciation de situations inacceptables fait partie d’un système de santé respectueux des droits. On doit donc, à ce titre, s’assurer qu’elles protègent les lanceurs d’alerte qui dénoncent des dysfonctionnements organisationnels qui pourraient entraîner de la maltraitance. Les mécanismes de protection contre les représailles, pour être pleinement efficaces, doivent aussi s’accompagner de mesures de formation adéquates pour les professionnels quant à leurs obligations déontologiques et à la possibilité de lever le secret professionnel dans certaines circonstances.

Plus largement, la Commission souhaite rappeler que la maltraitance et l’exploitation ne sont pas que des phénomènes isolés ou individuels. Ces situations relèvent ainsi souvent de facteurs contextuels. La maltraitance pourrait par exemple survenir lorsque les conditions organisationnelles et institutionnelles se détériorent ou lorsque l’accroissement des besoins des usagers n’est pas accompagné des ressources suffisantes. Dans un récent mémoire portant sur le projet de loi n° 56, Loi visant à reconnaître et à soutenir les personnes proches aidantes et modifiant diverses dispositions législatives, la Commission constatait par exemple que l’absence ou l’insuffisance de soutien des personnes proches aidantes, qu’il soit d’ordre matériel ou moral, comme l’épuisement des proches aidants ou intervenants, peuvent contribuer aux risques d’exploitation des personnes âgées ou handicapées, au sens de l’article 48 de la Charte. Il importe donc de ne pas occulter la dimension systémique du phénomène. À cet égard, une mention de la maltraitance organisationnelle dans le projet de loi pourrait encourager une telle reconnaissance.

Quant à son rôle dans la mise en œuvre des processus d’action concertés, la Commission prend acte des obligations supplémentaires qui lui incomberaient advenant l’adoption du projet de loi. La Commission est prête à les endosser avec la même compétence qu’elle a jusqu’ici démontrée, mais pourrait requérir des ressources supplémentaires pour s’acquitter convenablement et en temps opportun de ces nouvelles obligations, sans nuire au traitement du fort volume de demandes qu’elle reçoit déjà, année après année. Dans l’esprit de l’entente-cadre nationale qui prévoit le déploiement des processus d’intervention concertés dans chaque région du Québec, la Commission souhaiterait également avoir les moyens d’optimiser son action dans les différentes régions en matière de protection contre la maltraitance et l’exploitation, et ce dans la perspective de sa stratégie de régionalisation.

En terminant, la Commission tient à rappeler que les personnes aînées et les autres personnes majeures en situation de vulnérabilité ne sont jamais mieux protégées que lorsque l’ensemble de leurs droits sont respectés. La lutte contre la maltraitance doit donc continuer d’être menée sans négliger la protection du droit à la liberté, à l’intégrité et à la sauvegarde de la dignité de la personne, sans discrimination liée à l’âge ou au handicap.

Nous vous remercions de votre attention.


Notes préparées à la Direction de la recherche par :

MSamuel Blouin, chercheur
Me Geneviève St-Laurent, conseillère juridique

Avec la collaboration de :

Germain Royer, agent d’éducation et de coopération
Direction de l’éducation-coopération et des communications