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23 juillet 2021Lettres et allocutions

Lettre à Valérie Plante sur les enjeux d'accessibilité liés aux aménagements de l’espace public dans les arrondissements montréalais

Informée de l’existence d’obstacles qui entraveraient les déplacements des personnes en situation de handicap dans l’espace public montréalais, la Commission rappelle à la mairesse les droits reconnus aux personnes en situation de handicap et les obligations qui incombent aux municipalités pour les respecter.

PAR COURRIER ÉLECTRONIQUE

Le 23 juillet 2021

Madame Valérie Plante
Mairesse de Montréal
Hôtel de Ville de Montréal
155, rue Notre-Dame Est, Bureau 210
Montréal (Québec) H2Y 1B5
mairesse@montreal.ca

Objet : Aménagements de l’espace public dans les arrondissements montréalais – Enjeux d’accessibilité pour les personnes en situation de handicap

Madame la Mairesse,

Lors des deux plus récentes saisons estivales, un déploiement d’installations publiques et commerciales a pu être observé dans le cadre de la piétonnisation de certaines artères situées dans différents arrondissements de la Ville de Montréal. La fermeture à la circulation automobile de ces dernières vise principalement à permettre à toute personne de se déplacer de façon sécuritaire dans l’espace urbain, en réduisant les risques de propagation de la COVID-19.

C’est dans ce contexte que la Commission a été informée de l’existence d’obstacles qui entraveraient les déplacements des personnes en situation de handicap dans l’espace public. Selon les informations obtenues, il y aurait plusieurs dizaines de cas où des commerçants installent des chaises, des bancs, des tables, des panneaux publicitaires et des articles à vendre directement sur le trottoir ou dans la rue. Par ailleurs, une trentaine de cafés-terrasses non accessibles auraient été recensés dans les principales artères commerciales qui ont été piétonnisées pour la présente saison estivale.

La Commission ne peut présumer que toutes ces informations s’avèrent fondées. La nature des obstacles qui nous ont été rapportés apparait toutefois suffisamment préoccupante pour que la Commission juge nécessaire de vous informer des conséquences que ceux-ci pourraient présenter pour le respect des droits et libertés des personnes en situation de handicap. Ces obstacles sont susceptibles de limiter les déplacements des personnes en situation de handicap et de les rendre moins sécuritaires. Par voie de conséquence, cela risque d’affecter considérablement la possibilité d’accéder aux commerces et services que ces personnes ont l’habitude de fréquenter, dont plusieurs sont de première nécessité. Pensons notamment aux supermarchés, dépanneurs et autres commerces d’alimentation, aux succursales bancaires, aux cliniques médicales, aux pharmacies et aux établissements d’enseignement.

Il va sans dire que la multiplication de barrières physiques dans l’espace public vient compromettre la possibilité pour les personnes en situation de handicap d’exercer pleinement tous les droits qui leur sont reconnus par la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après « Charte »), limitant ainsi leur participation à la vie de notre société.

À ce sujet, la Commission, dont la mission est de veiller au respect des principes énoncés dans la Charte, estime nécessaire de rappeler les droits reconnus aux personnes en situation de handicap et les obligations qui incombent aux municipalités à cet égard. Elle juge de même essentiel de référer aux principes directeurs consacrés par la Convention relative aux droits des personnes handicapées, auxquels le gouvernement du Québec est lié[1] et lesquels doivent servir à interpréter les droits prévus à la Charte.

Les droits reconnus par la Charte aux personnes en situation de handicap

Le droit à l’égalité d’accès aux lieux publics pour les personnes en situation de handicap est spécifiquement garanti en vertu des articles 10 et 15 de la Charte. L’article 10 prescrit que :

« Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit. »

L’article 15 précise la portée du droit à l’égalité concernant notamment l’accès aux lieux publics :

« Nul ne peut, par discrimination, empêcher autrui d’avoir accès aux moyens de transport ou aux lieux publics, tels les établissements commerciaux, hôtels, restaurants, théâtres, cinémas, parcs, terrains de camping et de caravaning, et d’y obtenir les biens et les services qui y sont disponibles. »

Soulignons que cette disposition protège tant l’accès aux lieux publics que l’obtention des biens et services qui y sont disponibles[2].

Les principes directeurs de la Convention relative aux droits des personnes handicapées

La participation sociale des personnes en situation de handicap

La Convention relative aux droits des personnes handicapées reconnaît expressément à toutes les personnes en situation de handicap le droit de vivre dans la société, avec la même liberté de choix que les autres personnes, et de disposer de mesures efficaces et appropriées pour faciliter leur pleine jouissance de ce droit ainsi que leur pleine intégration et participation à la société[3]. Le concept de participation sociale, qui sous-tend cette approche, doit être compris comme la réalisation des habitudes de vie, c’est-à-dire les activités courantes et les rôles sociaux qu’une personne est appelée à exercer.

Cela implique qu’il faut aménager l’environnement physique, de manière à le rendre accessible à toutes les personnes afin qu’elles puissent prendre part à la vie de leur collectivité. De plus, le principe d’égalité des chances pour assurer la participation sociale des personnes en situation de handicap exige qu’il y ait reconnaissance que les besoins de tous ont une importance égale. Partant de cette prémisse, c’est en fonction de ces besoins que les sociétés doivent être planifiées et que toutes les ressources doivent être employées de façon à garantir à chacun des possibilités de participation dans l’égalité, conformément aux Règles des Nations Unies pour l’égalisation des chances des personnes handicapées[4].

L’accent qui est mis sur la reconnaissance des besoins des personnes en situation de handicap entraîne nécessairement, pour les divers paliers de gouvernement, une obligation positive « visant à agir sur l’environnement afin de le rendre accessible ou négociable » pour ces personnes[5]. Pour que la participation sociale de l’individu puisse être rendue possible, l’accessibilité à l’environnement physique constitue un préalable absolu.

L’accessibilité pour les personnes en situation de handicap

La Convention relative aux droits des personnes handicapées fait d’ailleurs de l’accessibilité un principe cardinal pour assurer l’exercice des droits des personnes handicapées. Dans cette perspective, le handicap naît de l’absence d’aménagement des environnements ordinaires. En d’autres termes, lorsque les bâtiments, la voirie, les moyens de transport et autres équipements intérieurs et extérieurs y compris les commerces, les installations médicales et les lieux de travail ne sont pas accessibles aux personnes qui présentent des limitations, c’est alors que ces dernières se trouvent en situation de handicap.

La mise aux normes des infrastructures urbaines afin de correspondre aux exigences de l’accessibilité représente un défi de taille pour les municipalités qui doivent mobiliser d’importantes ressources pour corriger les lacunes et éliminer les obstacles qui entravent la libre circulation des personnes qui présentent des limitations. Il revient ainsi à ces dernières de déterminer les moyens qui seront mis en œuvre pour rendre l’environnement physique des personnes le plus adéquat possible afin de permettre leurs déplacements. Ces moyens peuvent prendre la forme d’un nouvel aménagement physique des lieux, mais le plus souvent, en l’absence de possibilité d’aménager différemment l’espace public, ils pourront se traduire par l’adoption de mesures permettant aux personnes qui présentent des limitations de bénéficier d’un accès aux lieux publics, avec le moins d’entraves possible.

À ce sujet, mentionnons que la Convention enjoint les États parties à prendre des mesures efficaces pour assurer la mobilité des personnes en situation de handicap, « […] dans la plus grande autonomie possible, notamment en facilitant la mobilité personnelle des personnes handicapées selon les modalités et au moment que celles-ci choisissent »[6].

Ainsi, la Commission considère qu’il est primordial que les droits et principes énoncés ci-dessus soient respectés par les municipalités lors de la conception et la mise en place de toutes mesures visant à aménager l’espace urbain, notamment afin de réduire les risques de propagation de la COVID-19.

Les engagements de la Ville de Montréal en matière d’accessibilité

La Ville de Montréal s’est d’ailleurs engagée à faire de Montréal une ville universellement accessible dans la Politique municipale d’accessibilité universelle, adoptée en 2011. Le Plan d’action en développement social 2019-2020 Rassembler Montréal définit des actions spécifiques relativement à la stratégie d’aménagement inclusif, dont celle d’améliorer l’accessibilité universelle des infrastructures municipales. Enfin, s’appuyant sur ce plan, la Ville de Montréal a identifié des interventions municipales en accessibilité universelle pour les années 2019-2020. Plusieurs actions visent l’aménagement des espaces publics.

Ajoutons que ces actions font écho aux valeurs et principes établis par la Ville de Montréal dans la Charte montréalaise des droits et responsabilités, entrée en vigueur en 2006.

En terminant, sachant que certains des aménagements temporaires pourraient devenir permanents, en tout ou en partie, la Commission tient à insister sur l’importance de rendre ceux-ci pleinement accessibles dès leur conception.

La vision de l’accessibilité universelle de la Ville de Montréal ainsi que sa volonté d’assumer un leadership en cette matière telles que consacrées dans la Politique municipale d’accessibilité universelle militent en faveur de la mise en place d’actions additionnelles concrètes en vue d’assurer le plein respect des droits des personnes en situation de handicap qui s’y trouvent. Nommons à titre d’exemple des activités de sensibilisation sur les droits des personnes en situation de handicap et les obligations qui en découlent auprès des élus des différents arrondissements ainsi qu’auprès des commerçants qui y font affaire.

Je vous prie d’agréer, Madame la Mairesse, l’expression de mes meilleurs sentiments.

Le Président,

Philippe-André Tessier



[1] Convention relative aux droits des personnes handicapées, 13 décembre 2006, [2010] R.T. Can. no 8, art. 1 (ci-après « Convention »). Soulignons que la Convention a été adoptée, à l’unanimité, par l’Assemblée générale des Nations Unies. Le Canada a ratifié cette convention le 11 mars 2010, s’engageant ainsi à respecter les principes qu’elle contient et à les mettre en œuvre.

[2] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 142006 Canada inc. (Caverne grecque), 2012 QCTDP 14, par. 47.

[3] Convention, art. 19.

[4] Règles pour l’égalisation des chances des personnes handicapées, Doc. N.U. A/RES/48/96, 4 mars 1994, annexe

[5] Jean-René Loubat, « Pour la participation sociale des personnes handicapées », Lien social, n° 675, août 2003, [En ligne]. 

[6] Convention, art. 20.