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21 juillet 2023Lettres et allocutions

Renforcer les droits économiques et sociaux pour lutter contre la pauvreté

Photo de Myrlande Pierre faisant son allocution.
Voici les notes de l'allocution de Myrlande Pierre, vice-présidente et responsable du volet Charte de la Commission, lors de la table ronde À part entière : les droits économiques et sociaux, organisée à l’occasion du vernissage de l’exposition NOUS : Portraits de l’assistance sociale, dans le Pavillon d’accueil de l’Assemblée nationale du Québec le 19 juillet 2023.

Bonjour,

Je tiens à vous remercier d’être des nôtres aujourd’hui pour le vernissage de la magnifique exposition Nous : Portraits de l’assistance sociale. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse est heureuse de pouvoir collaborer à la diffusion de celle-ci et de l’important message qu’elle porte pour l’ensemble de la société québécoise. Puisque nous sommes ici, à l’Assemblée nationale du Québec, permettez-moi d’inviter les parlementaires à y porter une attention toute particulière.

Cette exposition nous invite avec force à déconstruire les préjugés entretenus à l’endroit des personnes assistées sociales. Elle illustre aussi l’impact de ces préjugés sur les personnes qu’ils visent et l’influence qu’ils ont sur les politiques publiques. Les travaux de la Commission l’ont largement démontré au fil des ans : les préjugés et stéréotypes qui prennent pour cible les personnes en situation de pauvreté servent de toile de fond à une discrimination systémique qui compromet leur droit à l’égalité, en matière d’aide financière et d’aide sociale, mais également dans le domaine du logement, de l’emploi, de l’éducation, etc. Plus largement, la pauvreté crée des entraves à l’exercice de droits dont le Québec a établi le caractère fondamental en les inscrivant dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

Les solutions à la pauvreté dépassent les questions de volonté ou de responsabilité individuelles. Seule une perspective systémique permet de comprendre l’engrenage de la pauvreté et de la discrimination vécue par les personnes en situation de pauvreté. C’est aussi en adoptant une approche réellement fondée sur les droits que nous pourrons lutter contre la pauvreté et y mettre fin. Une telle approche implique la mise en œuvre effective de tous les droits protégés par la Charte, incluant les droits économiques et sociaux.

Ma présentation aujourd’hui portera sur la nécessité de renforcer ces droits économiques et sociaux pour y parvenir.

La Commission des droits

Avant d’entrer dans le vif du sujet, rappelons que la Commission est un organisme indépendant créé il y a près de 50 ans, en vertu de la Charte, laquelle a été adoptée en 1975, à l’unanimité des membres de l’Assemblée nationale.

La Charte québécoise énumère un certain nombre de responsabilités que la Commission exerce en vue d’assurer la promotion et le respect des droits et libertés de la personne. Elles comprennent notamment :

  • le traitement des plaintes et l’exercice de recours judiciaires ;
  • l’éducation aux droits ;
  • les travaux de recherche et l’analyse de la conformité des lois du Québec à la Charte ;
  • l’étude des demandes qui lui sont présentées ;
  • ou encore la coopération avec toute organisation vouée à la promotion des droits et libertés de la personne.

La Charte québécoise et les droits économiques et sociaux qu’elle protège

La Charte québécoise est largement inspirée par le droit international. Ses rédacteurs se sont notamment fortement inspirés de la Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Cette influence se traduit entre autres par l’ampleur des droits et libertés protégés par la Charte. En cela, elle apparait plus ambitieuse que les codes relatifs aux droits de la personne des autres provinces canadiennes.

La Charte québécoise se distingue aussi par le chapitre qu’elle consacre aux droits économiques et sociaux. En fait, à l’échelle nord-américaine, cette reconnaissance explicite des droits économiques et sociaux est l’un des éléments les plus distinctifs de la Charte.

Les articles 39 à 48 recoupent entre autres :

  • le droit des enfants à la protection, à la sécurité et à l’attention de leurs parents ou des personnes qui en tiennent lieu ;
  • le droit à l’instruction publique gratuite ;
  • le droit pour toute personne dans le besoin à des mesures d’assistance financière et à des mesures sociales susceptible d’assurer un niveau de vie décent ; ce qui inclut le droit au logement ;
  • ainsi que le droit, pour toute personne qui travaille, à des conditions de travail justes et raisonnables.

Il faut souligner l’importance de cette reconnaissance explicite des droits économiques et sociaux dans un texte aussi fondamental que la Charte québécoise. La Charte, rappelons-le, est une loi de nature quasi constitutionnelle. Et, comme toute autre législation en matière de droit de la personne, elle a « une suprématie de principe par rapport aux lois ordinaires »[1]. Sauf exception, ses articles 1 à 38 ont aussi explicitement préséance sur toutes autres lois québécoises.

Des droits dont la mise en œuvre est parsemée d’obstacles

Cela dit, la mise en œuvre des droits économiques et sociaux protégés par la Charte est encore largement parsemée d’obstacles. Les exemples sont nombreux et ils ont des impacts concrets, particulièrement dans la vie des personnes en situation de pauvreté.

Parmi ces exemples, on pourrait discuter longuement des obstacles qui empêchent l’exercice du droit au logement, particulièrement dans le contexte actuel de crise persistante que l’on connait. Le droit au logement, c’est d’abord et avant tout l’accès à un logement de qualité et de taille convenable pour nos besoins, et ce, à un prix abordable. C’est « le droit à un lieu où l’on puisse vivre en sécurité, dans la paix et la dignité »[2]. Les travaux de la Commission ont, à maintes reprises, permis de constater l’insuffisance des politiques publiques permettant l’exercice effectif du droit au logement pour un nombre grandissant de personnes. Et, le contexte actuel appelle plus que jamais à des actions systémiques dans ce domaine. Les taux d’inoccupation sont en deçà du niveau d’équilibre à peu près partout, différents facteurs exercent une pression à la hausse sur le coût des loyers et la part du revenu dédiée au logement s’avère disproportionnée pour un nombre grandissant de ménages, ce qui les mènent à devoir faire des choix impossibles entre payer le loyer ou combler d’autres besoins essentiels. À cela s’ajoutent d’autres enjeux liés à l’insalubrité, au harcèlement et à la discrimination, aux situations de violence qui perdurent faute de pouvoir déménager pour les fuir, etc. En fait, il n’est pas possible ici d’énumérer tous les indicateurs de la détérioration du secteur du logement locatif, mais il importe d’insister sur les compromissions de droits que celle-ci entraîne et sur l’urgence de mettre en œuvre des mesures gouvernementales structurantes permettant un réel exercice du droit au logement, particulièrement pour les locataires à faible revenu.

Toujours à titre d’exemple de ces obstacles à une réelle mise en œuvre des droits économiques et sociaux, citons le caractère insuffisant et inadéquat des prestations d’aide sociale. Dès 1978, la Commission affirmait que la législation relative à l’aide sociale devait respecter le cadre qui est prescrit par l’article 45 de la Charte et permettre « d’assurer un niveau de vie décent à toute personne dans le besoin ou privée de moyens de subsistance »[3]. Depuis, la Commission a plusieurs fois déploré « l’insuffisance et l’inadéquation des barèmes d’aide sociale pour satisfaire les besoins de base des personnes les plus démunies et garantir le respect de leurs droits prévus par la Charte ». Les besoins de base ne peuvent pas être définis de façon restrictive pour une catégorie de la population, au point de se limiter à ce qui est nécessaire à la survie. C’est pourquoi la Commission a formulé de nombreuses recommandations, afin que les politiques globales en matière de sécurité du revenu soient conçues en tenant compte des besoins réels des prestataires et de leur famille et de leur droit de vivre dans des conditions décentes qui leur permettent de jouir de tous les droits et libertés protégés par la Charte ». Nous regrettons que ces recommandations soient restées lettre-morte jusqu’à ce jour.

Les obstacles à la mise en œuvre de l’article 45 prennent par ailleurs une tout autre dimension lorsqu’on lit cette disposition en lien avec l’article 39 de la Charte. Dans bien des cas, le droit de tout enfant « à la protection, à la sécurité et à l’attention que ses parents ou ceux qui en tiennent lieu peuvent lui donner » — tel que garanti à l’article 39 — est conditionné par le droit à des mesures d’assistance financière et sociale susceptibles d’assurer un niveau de vie décent. Le caractère inadéquat des mesures de soutien à la famille fait alors également obstacle au droit de toute enfant à la protection, la sécurité et l’attention de leur parent ou des personnes qui en tiennent lieu.

Par ailleurs, je ne pourrais passer sous silence les obstacles qui persistent quant à l’exercice effectif du droit à l’instruction publique gratuite. À maintes reprises, la Commission a déploré que l’école québécoise peine à exercer sa mission à l’égard de tous les enfants et, plus spécifiquement de ceux qui proviennent de familles à faible revenu. Plusieurs de ces enfants n’obtiennent toujours pas le soutien nécessaire pour favoriser leur réussite éducative, et ce, malgré les efforts qui ont été consentis pour démocratiser notre système d’enseignement depuis la fin des années 1960. À l’heure actuelle, 20 % des élèves de milieux défavorisés mettent fin à leurs études sans obtenir de diplôme ou de qualification. Les frais exigés des parents pour l’achat de matériel scolaire, pour les services de surveillance du midi ou pour la participation à des sorties éducatives ou des activités parascolaires constituent un exemple éloquent des obstacles à la pleine participation de ces élèves. Par ailleurs, le déploiement de projets pédagogiques particuliers au sein des établissements d’enseignement public contribue à créer un marché scolaire dont les enfants de familles à faibles revenus sont trop souvent exclus. Dans un tel contexte, ces enfants n’ont pas accès à l’ensemble des services offerts par le milieu scolaire. Cette dynamique compromet non seulement l’exercice de leur droit à l’instruction publique gratuite, mais elle contribue à reproduire le cercle vicieux de la pauvreté et de l’exclusion sociale dont ces enfants et leurs familles sont victimes.

Voilà quelques exemples, parmi d’autres, des obstacles qui se posent dans la mise en œuvre effective des droits économiques et sociaux protégés par la Charte.

Des réticences infondées

L’inclusion de ces droits dans un texte aussi fondamental que la Charte ne devrait pas être un geste purement symbolique. Pourtant, elle a jusqu’à maintenant trouvé bien peu d’écho, notamment auprès du législateur ou des tribunaux québécois.

Les travaux de la Commission ont permis d’identifier les causes de cette réticence des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire à donner une pleine effectivité aux droits économiques et sociaux reconnus dans la Charte.

La Commission a par exemple plusieurs fois traité de la perspective fondée sur la responsabilité individuelle qui prédomine. Particulièrement alimentée par les préjugés et stéréotypes, cette perspective nous mène à ignorer les causes systémiques de la pauvreté, des problèmes d’accès à un logement convenable et abordable, de l’itinérance, des inégalités de santé et de combien d’autres problèmes sociaux. Comme l’ont bien démontré les travaux de la Commission, ces préjugés marquent le quotidien des personnes qui en sont victimes. Ils orientent différentes décisions, diverses pratiques, mais aussi certaines politiques publiques destinées aux personnes en situation de pauvreté et d’exclusion sociale.

Les professeurs Vézina et Landry en traiteront d’ailleurs également dans leurs présentations respectives.

La réticence à donner plein effet aux droits économiques et sociaux garantis par la Charte se fonde également sur une veille dichotomie — établie au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale — entre, d’une part, les droits civils et politiques et, d’autre part, les droits économiques et sociaux. Cette dichotomie n’a toutefois plus lieu d’être.

En fait, dès 1976, la Commission notait que « la justice et la paix sociale exigent de plus en plus que l’on considère que les droits économiques, sociaux et culturels, sont complémentaires aux droits civils et politiques ». Comme l’écrivait alors la Commission, « c’est là, en quelque sorte, l’évolution prévisible à moyen terme des droits de la personne et c’est vers la recherche de cet équilibre que la Commission vraisemblablement conseillera l’Assemblée nationale en l’incitant à faire les choix politiques appropriés ».

Depuis la Déclaration de Vienne de 1993, la communauté des États reconnait clairement que tous les droits de la personne « sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés ». On doit dès lors « traiter des droits [de la personne] globalement, de manière équitable et équilibrée, sur un pied d’égalité et en leur accordant la même importance ».

Dans une conférence prononcée en 2005, Louise Arbour, ex-juge à la Cour suprême, soulignait aussi que « quelles qu’aient été les raisons pour remettre en question, il y a 60 ans, le statut égal et la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels, une chose est claire : de nos jours, il n’y a aucun fondement aux exclusions par catégories. Le statut d’égalité, l’indivisibilité et l’interdépendance de tous les droits de la personne ont été affirmés unanimement et fréquemment par la communauté internationale des États […] ». La même règle doit prévaloir pour ce qui est de la Charte québécoise. Celle-ci doit être interprétée comme un ensemble cohérent de droits et libertés. 

Ne pas reconnaitre pleinement les droits économiques et sociaux protégés par la Charte entraîne d’ailleurs d’importantes conséquences sur l’ensemble des droits qu’elle garantit, incluant ceux qui ont une prépondérance explicite sur toutes les autres lois du Québec. 

Comme je l’ai souligné précédemment, la pauvreté constitue une entrave à l’exercice de tous les droits de la personne.

Les recommandations de la Commission des droits

C’est pourquoi la Commission continue d’œuvrer pour le renforcement des droits économiques et sociaux protégés par la Charte avec pour objectif d’assurer leur pleine effectivité. Il est plus que temps que la reconnaissance dont bénéficient ces droits sur papier, dans une loi fondamentale, ait l’effet recherché dans la vie de chacun et chacune.

Rendre effectifs ces droits, c’est d’ailleurs ce à quoi s’est engagé le Québec en se déclarant lié par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Le Québec s’est ainsi engagé à « respecter » et « protéger » les droits qu’il énonce, mais aussi à leur « donner effet ».

La Commission a formulé d’importantes recommandations en ce sens. Certaines d’entre elles s’adressent d’ailleurs au législateur québécois et prennent un sens bien particulier alors que nous nous trouvons à l’Assemblée nationale.

Depuis 2003, la Commission recommande notamment que tous les droits de la Charte aient la même prépondérance explicite sur les autres lois du Québec. La Commission recommande ainsi que la Charte soit modifiée pour étendre aux droits économiques et sociaux la primauté que les autres droits énoncés aux articles 1 à 38 ont sur les autres lois du Québec. Cette primauté pourrait entrer en vigueur graduellement et ainsi être limitée dans un premier temps aux lois postérieures, puis étendue aux lois existantes.

La Commission recommande aussi de modifier la Charte afin de préciser ou de compléter la liste des droits économiques et sociaux qui y sont déjà reconnus. À titre d’exemple, la Commission propose de reconnaitre explicitement le droit à la santé et le droit au logement. Elle recommande aussi d’ajouter le droit de la famille à des mesures de soutien. Dans le respect du rôle premier des familles, il s’agirait ainsi de reconnaitre la responsabilité des réseaux publics, dans une approche de prévention et en amont du système de protection de la jeunesse.

Au-delà de ces recommandations, aussi incontournables soient-elles, la mise en œuvre effective des droits économiques et sociaux ne pourra se faire qu’à travers une approche des politiques publiques fondée sur les droits. L’exposition dont nous soulignons aujourd’hui le vernissage nous le rappelle d’ailleurs avec éloquence.

Une approche fondée sur les droits repose sur une compréhension universelle des droits de la personne, des droits qui — je le disais tout à l’heure — sont indissociables, interdépendants et intimement liés.

Une telle approche nécessite aussi qu’on prenne conscience de l’impact des préjugés que nous avons, consciemment ou non, et de l’impact qu’ils peuvent avoir dans le développement des politiques publiques. Elle tient compte des causes systémiques et structurelles des problèmes sociaux tels que la pauvreté et l’exclusion sociale. Elle tient compte aussi des facteurs de risques de pauvreté particuliers à certaines populations, notamment en fonction de motifs de discrimination tels que la « race », la couleur, l’origine ethnique ou nationale, le sexe, l’état civil, l’âge et le handicap. La féminisation et la racisation de la pauvreté, tout comme la plus grande proportion de personnes en situation de handicap à vivre la pauvreté, constituent des illustrations particulières de l’intersection complexe des motifs de discrimination et des effets croisés de différents systèmes d’oppression.

Enfin, une approche fondée sur les droits assure aussi la participation des personnes et des familles visées par les politiques publiques dans la définition des mesures qui les concernent. De cela aussi, l’exposition NOUS : Portraits de l’assistance sociale constitue un exemple éloquent de démarche à suivre.

Je vous remercie de votre attention.



[1] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville) ; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), 2000 CSC 27, par. 27. 

[2] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Déclaration de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse sur la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale — Assurer pleinement l’exercice de tous les droits humains : un enjeu fondamental pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, (Cat. 2.600.226), 2010, p. 7, [En ligne]. https://www.cdpdj.qc.ca/storage/app/media/publications/pauvrete_declaration_2010.pdf

[3] Commission des droits de la personne, Commentaires de la Commission des droits de la personne sur le Projet de loi n° 118, Loi modifiant la Loi sur l’aide sociale, (Cat. 2.412-23), 1978, p. 2.