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20 septembre 2016Lettres et allocutions

Lettre au président de la Commission des finances publiques sur le Projet de loi n° 108, Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics

Commentaires de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse sur le Projet de loi n° 108, Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics envoyés par lettre au président de la Commission des finances publiques le 16 septembre 2016.

Le 16 août 2016

Monsieur Raymond Bernier
Président
Commission des finances publiques
Édifice Pamphile-Le May
1035, rue des Parlementaires
3e étage, Bureau 3.15
Québec (Québec) G1A 1A3
cfp@assnat.qc.ca

Objet : Commentaires de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse sur le Projet de loi n° 108, Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics

Monsieur le Président,

Conformément au mandat que lui confère la Charte des droits et libertés de la personne1, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse2 a procédé à l’analyse du Projet de loi n° 108, Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics présenté devant l’Assemblée nationale le 8 juin 20163. À cet égard, rappelons qu’en vertu du paragraphe 71 al. 2 (6), la Commission doit notamment « relever les dispositions des lois du Québec qui seraient contraires à la Charte et faire au gouvernement les recommandations appropriées ».

Comme son titre l’indique, le projet de loi n° 108 vise principalement à instituer l’Autorité des marchés publics, le législateur donnant ainsi suite à la première recommandation de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction4.L’analyse de la Commission l’amène plus particulièrement à commenter les articles 5 et 14 de ce projet de loi en regard de l’article 18.2 de la Charte.

L’article 18.2 de la Charte et la notion de pardon

L’article 18.2 de la Charte introduit un régime particulier d’interdiction de discrimination fondée sur les antécédents judiciaires réservé au domaine de l’emploi. Cette disposition est rédigée comme suit :

« 18.2Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon. »

Dans l’arrêt Therrien, la Cour suprême enseigne que cette disposition implique quatre conditions essentielles d’application, à savoir :

  1. un congédiement, un refus d’embauche ou une pénalité quelconque;
  2. décidé dans le cadre d’un emploi;
  3. du seul fait qu’une personne a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, et
  4. qu’il n’y ait aucun lien entre l’infraction et l’emploi ou que la personne en ait obtenu le pardon5.

Or, les articles 5 et 14 du projet de loi n° 108 ne tiennent pas compte de tous les éléments prévus à la quatrième de ces conditions d’application puisqu’ils omettent de préciser l’exception prescrite à la Charte dans le cas où la personne concernée a obtenu le pardon. Ces dispositions portent ainsi atteinte au droit garanti à l’article 18.2 de la Charte, sans que le législateur n’ait recours, dans ces deux articles du projet de loi, à la clause dérogatoire inscrite à l’article 52 de celle-ci.

L’article 5 du projet de loi n° 108 définit d’abord les conditions minimales pour être nommé président-directeur général ou vice-président de l’Autorité des marchés publics. On y énumère entre autres les suivantes :

« 5. Les conditions minimales pour être nommé président-directeur général ou vice-président ainsi que pour maintenir cette charge sont les suivantes :

  1. être de bonnes mœurs;
  2. ne pas avoir été reconnu coupable, en quelque lieu que ce soit, d’une infraction pour un acte ou une omission qui constitue une infraction au Code criminel (Lois révisées du Canada (1985), chapitre C-46) ou une infraction visée à l’article 183 de ce code créée par l’une des lois qui y sont énumérées, ayant un lien avec l’emploi. »6

L’article 14 du projet de loi renvoie ensuite à cette disposition eu égard au personnel de l’Autorité des marchés publics :

« 14. Les conditions prévues aux paragraphes 1° et 2° de l’article 5 doivent être satisfaites pour être embauché comme membre du personnel de l’Autorité ainsi que pour le demeurer. »7

Certes, la fonction particulière de dirigeant de l’Autorité des marchés publics doit inspirer la plus grande confiance et il en est de même des membres du personnel de cette Autorité. Dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 18.2 de la Charte, de telles considérations doivent d’ailleurs être prises en compte dans l’analyse que prescrit la première partie de la quatrième condition précitée et qui mène à conclure s’il y a un lien entre l’infraction et l’emploi. Doivent alors être considérées « la gravité de l’infraction, le moment et les circonstances de sa perpétration [mais également] la nature des tâches et responsabilités inhérentes à la fonction occupée ou convoitée »8.

Cela dit, qu’il y ait ou non un lien entre l’infraction et l’emploi, l’obtention du pardon constitue une condition d’application distincte de l’article 18.2 de la Charte. La Cour suprême le confirme d’ailleurs dans l’arrêt Maksteel lorsqu’elle écrit que « si la personne a obtenu un pardon pour l’infraction commise, qu’il y ait ou non un lien entre celle-ci et l’emploi, la protection est absolue »9. Elle l’a ensuite réitéré dans l’arrêt Ville de Montréal c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse alors qu’elle souligne que « la protection découlant de la réhabilitation s’applique même lorsqu’il y a un lien avec l’emploi »10. La Cour suprême explique alors que cette protection que confère l’obtention du pardon « n’est pas écartée du seul fait qu’elle prive l’employeur de la justification fondée sur le lien avec l’emploi : c’est le but de l’exception »11.

Ainsi, qu’un lien entre l’infraction en cause et l’emploi ait pu ou non être établi, notamment eu égard au degré de confiance qu’implique la fonction ou l’emploi en cause, l’obtention d’un pardon après avoir été reconnu coupable d’une infraction criminelle ou pénale doit être prise en compte.

La Commission recommande donc que le paragraphe 5(2) du projet de loi n° 108 soit modifié pour y prévoir l’exception liée à l’obtention du pardon prévue à l’article 18.2 de la Charte afin de le rendre conforme à cet article. Cela pourra notamment être fait en ajoutant, à la fin du paragraphe 5(2), après les mots « ayant un lien avec l’emploi », « , à moins qu’il en ait obtenu le pardon ».

Nous demeurons à votre disposition pour toute question relative à la présente.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma considération distinguée.

Camil Picard
Président par intérim


1 Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12 (ci-après « Charte »).
2 Ci-après « Commission ».
3 Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics, projet de loi n° 108 (présentation ¾ 8 juin 2016), 1re sess., 41e légis. (Qc) (ci-après « projet de loi n° 108 »).
4 COMMISSION D’ENQUÊTE SUR L’OCTROI ET LA GESTION DES CONTRATS PUBLICS DANS L’INDUSTRIE DE LA CONSTRUCTION, Rapport final de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, Stratagèmes, causes, conséquences et recommandations, Tome 3, 2015, p. 91, [En ligne].
https://www.ceic.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_client/fichiers/Rapport_final/Rapport_final_CEIC_Integral_c.pdf
5 Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, par. 140.
6 Projet de loi n° 108, préc., note 3, art. 5 [notre soulignement].
7 Id., art. 14.
8 Christian BRUNELLE, « Les droits et libertés dans le contexte civil », dans BARREAU DU QUÉBEC, Droit public et administratif, Collection de droit 2015-2016, vol. VII, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 73, citant notamment : Péloquin c. Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec, [2000] R.J.Q. 2215, par. 82.
9 Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Maksteel Québec inc., [2003] 3 R.C.S. 228, par. 21.
10 Ville de Montréal c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, [2008] 2 R.C.S. 698, par. 32.
11 Id.