Au sens de la Charte, la discrimination se définit comme une distinction, exclusion ou préférence ayant pour effet de détruire ou de compromettre le droit à l’égalité. Comme l’affirmait la Commission dans son Rapport de consultation sur le profilage racial et ses conséquences,
« la discrimination est en général alimentée par des stéréotypes et des préjugés, conscients ou non, qui, en l’espèce, disqualifient ou stigmatisent des individus en raison de leur couleur, de leur apparence ou de leur appartenance, réelle ou présumée, à un groupe »1.
L’article 10 de la Charte vise à protéger les personnes contre les actes de nature discriminatoire quelles que soient leur forme et leur manifestation. Même si les tribunaux accordent aujourd’hui plus d’importance aux effets de la discrimination, on peut distinguer trois formes de discrimination : directe, indirecte et systémique2.
La discrimination directe constitue la forme la plus rudimentaire et la plus flagrante de discrimination. Elle a cours « lorsqu’une personne est soumise à un traitement différent reposant sur un motif de discrimination prohibé, et ce, de façon ouverte et avouée »3. Bien souvent, il y a intention de discriminer un individu ou un groupe d’individus en raison de caractéristiques de groupes, réelles ou présumées. Cela étant, il n’est pas nécessaire de démontrer l’intention pour conclure qu’il y a discrimination4.
La discrimination par suite d’un effet préjudiciable constitue une forme beaucoup plus subtile de discrimination que la discrimination directe. Elle se produit généralement sans intention de discrimination. La situation discriminatoire découle plutôt de l’application uniforme d’une norme, d’une politique, d’une règle ou d’une pratique, neutre à première vue, ayant néanmoins un effet discriminatoire auprès d’un individu ou d’une catégorie d’individus en leur imposant des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées à autrui. Des normes ou pratiques peuvent donc avoir un effet discriminatoire, « même si cet effet n’a pas été voulu ni prévu. »5
Ainsi, un décideur peut avoir agi de bonne foi, sans intention de discriminer, et être à l'origine d’une situation de discrimination. Il doit alors évaluer la possibilité de déroger à la norme ou bien à la pratique afin de prémunir la ou les victimes du préjudice subi. En d’autres termes, il doit tenter de mettre en place une mesure d’accommodement qui neutralisera l’effet discriminatoire.
Le calendrier civique
Le calendrier civique s’apparente à des normes de fonctionnement communes d’apparence neutre pouvant tout de même avoir un effet discriminatoire sur un individu ou sur certaines catégories d’individus. En effet, ce calendrier établit un certain nombre de jours fériés calqués sur le calendrier des fêtes catholiques (Noël, Vendredi saint et Pâques). Par conséquent, il aura potentiellement un effet préjudiciable sur les personnes appartenant à des groupes religieux minoritaires6 puisque l’observance de leurs propres fêtes religieuses n’y est pas prévue. L’accommodement, dans ce cas, pourra consister à autoriser certaines absences, à moins qu’elles n’imposent une contrainte excessive. À cet égard, plusieurs organisations ont mis en place pour l’ensemble de leurs employés une banque de congés flexibles afin de ne pas créer de sentiment d’iniquité.
L’interdiction d’animaux domestiques
Plusieurs lieux publics, tels les hôpitaux, les écoles, et les établissements commerciaux, interdisent la présence d’animaux domestiques. Il va généralement de même à l’intérieur des milieux de travail.
Cette règle vise notamment des objectifs d’hygiène et de sécurité. Cependant, si elle est appliquée de manière automatique, sans réelle prise en compte de l’accessibilité de certaines clientèles, elle risque fortement d’avoir à leur endroit des effets discriminatoires.
Pour les personnes handicapées dont le moyen pour pallier au handicap est le chien guide ou le chien d’assistance, un assouplissement au règlement apparaît nécessaire. Autrement, l’accessibilité des non-voyants, des personnes sourdes ou malentendantes, des enfants TED et leur famille ou encore des personnes ayant besoin d’une aide à la motricité sera compromise. Afin de respecter le droit à l’égalité de cette catégorie de personnes, la norme doit inclure la possibilité d’un accommodement. Pour les différents milieux l’interdiction d’animaux domestiques sera généralement maintenue, mais la règle comprendra une exception en ce qui concerne les chiens guide ou d’assistance.
L’horaire de travail et de formation dispensée par l’employeur
L’horaire de travail, comme le « 9 à 5, 5 jours sur 7 », correspond également à ces normes de fonctionnement en emploi qui sont d’apparence neutre parce qu’elles s’appliquent à tous uniformément. Il en va de même de la formation dispensée par l’employeur, par exemple les jours de fin de semaine.
L’application de ces règles de fonctionnement pourrait cependant être jugée discriminatoire, si elle ne tient pas compte des besoins particuliers de certains employés. Une mise en œuvre sans souplesse de l’horaire de travail et de formation dispensée par l’employeur pourrait en effet produire un effet discriminatoire sur des individus en raison, par exemple, de leur handicap (rendez-vous médicaux récurrents, utilisation du transport adapté, etc.).
La norme doit être conciliante et inclusive autant que possible. Ainsi, l’employeur pourrait envisager la mise en place d’un régime d’horaire flexible pour l’ensemble du personnel ou d’une politique de conciliation travail famille. Si ces avenues s’avèrent impossibles, il devra s’assurer qu’au niveau individuel des accommodements sont consentis, à moins d’une contrainte excessive. La nature du poste et les fonctions occupées peuvent être déterminantes à cet égard.
La discrimination systémique se comprend comme :
[…] la somme d'effets d'exclusion disproportionnés qui résultent de l'effet conjugué d'attitudes empreintes de préjugés et de stéréotypes, souvent inconscients, et de politiques et pratiques généralement adoptées sans tenir compte des caractéristiques des membres de groupes visés par l'interdiction de la discrimination.7
La discrimination systémique a bien souvent des effets durables sur un groupe identifiable d’individus en raison d’une caractéristique comme le sexe, l’âge, la couleur de la peau, le handicap, etc. Dans le système d’emploi, cette forme de discrimination peut entre autres se traduire par des perspectives d’embauche et d’avancement disproportionnellement désavantageuses notamment pour les femmes, les Autochtones, les minorités ethniques, les minorités visibles et les personnes handicapées.
La discrimination est plus difficile à neutraliser. Dès lors, les mesures de redressement doivent elles-mêmes revêtir une dimension systémique visant des réparations à hauteur du préjudice, compte tenu des effets tenaces et pernicieux de cette forme de discrimination. Les programmes d’accès à l’égalité appartiennent à cette catégorie de mesures. Comme l’indique l’article 86 de la Charte québécoise :
Un programme d’accès à l’égalité a pour objet de corriger la situation de personnes faisant partie de groupes victimes de discrimination dans l’emploi, ainsi que dans les secteurs de l’éducation ou de la santé et dans tout autre service ordinairement offert au public. Un tel programme est réputé non discriminatoire s’il est établi conformément à la Charte.
Pour un exemple de discrimination systémique en emploi, vous pouvez consulter les jugements suivants :