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1 décembre 2021Lettres et allocutions

Notes de la présentation sur le projet de loi 2, Loi portant sur la réforme du droit de la famille

Photo d'un enfant sur une balançoire de Myles Tan sur Unsplash.
Voici les notes de la présentation de la Commission devant la Commission des Institutions de l’Assemblée nationale du Québec le 1er décembre 2021, à l’occasion des consultations particulières sur le projet de loi no 2, Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d'état civil.

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les députés,

Je suis Philippe-André Tessier, président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Je suis accompagné de Samuel Blouin, chercheur, et de Me Karina Montminy, conseillère juridique, de la Direction de la recherche de la Commission.

Je tiens d’abord à rappeler que la Commission a entre autres pour mission d’assurer le respect et la promotion des principes énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne. Elle assure aussi la protection de l’intérêt de l’enfant, ainsi que le respect et la promotion des droits qui lui sont reconnus par la Loi sur la protection de la jeunesse. C’est donc à ce titre que la Commission a examiné le projet de loi.

Compte tenu de l’ampleur et de l’importance des modifications proposées par le projet de loi qui vise à réformer le droit de la famille ainsi qu’à donner suite à la décision rendue par la Cour supérieure dans l’affaire Centre de lutte contre l’oppression des genres, nous sommes ici pour vous faire part des grandes orientations de la Commission sur les sujets pour lesquels nous estimons nécessaire d’attirer votre attention à cette étape des travaux parlementaires. Nous allons vous transmettre, au cours des prochaines semaines, un mémoire qui traitera de façon plus détaillée de ces sujets et d’autres thématiques visées par le projet de loi.

L’objectif annoncé de cette partie de la réforme du droit de la famille, soit de considérer les enfants d’abord, rejoint pleinement l’une des préoccupations de la Commission de rendre effective la reconnaissance de l’enfant comme titulaire de droits. Rappelons qu’à l’occasion des consultations tenues par la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, elle a en ce sens insisté sur l’urgence pour le gouvernement du Québec d’agir pour renforcer le respect des droits de l’ensemble des enfants et leur garantir la pleine protection de leur sécurité et de leur développement.

De façon plus particulière, la Commission se réjouit des modifications proposées en vue d’élargir la portée du droit à la connaissance des origines pour les enfants adoptés et pour ceux nés d’un don de gamète ou d’une gestation pour autrui. Comme elle l’a souligné dans le passé, ce droit trouve son fondement dans le droit à l’intégrité et à la liberté de sa personne, la reconnaissance de la personnalité juridique, le droit à la sauvegarde de sa dignité, le droit au respect de sa vie privée et le droit à l’information, lesquels sont reconnus tant par la Charte québécoise que par le droit international, notamment la Convention relative aux droits de l’enfant. La Commission accueille en outre positivement la consécration du droit à la connaissance de ses origines dans la Charte. Compte tenu du statut de cette dernière dans le corpus normatif québécois, l’ajout proposé viendrait lui accorder une valeur importante. La Commission souhaite néanmoins vous faire part du questionnement que soulève l’inscription de ce droit dans le chapitre IV de la Charte, relatif aux droits économiques et sociaux. Tel que mentionné précédemment, il est plus généralement associé à certains droits fondamentaux déjà énoncés au chapitre I de celle-ci et semble davantage appartenir à cette catégorie de droits.

Ensuite, la Commission ne peut passer sous silence la proposition d’introduire un cadre légal de la gestation pour autrui dans le Code civil. Tant des experts du milieu juridique que des sciences sociales militent en faveur d’un encadrement législatif dans le contexte où cette forme de procréation assistée se pratique déjà au Québec. Ainsi, disposer de règles claires contribuerait à s’assurer que tout projet parental impliquant la gestation par une tierce personne se réalise dans le respect des droits de l’enfant et de son intérêt ainsi que des droits de la femme ou personne qui accepte de donner naissance à l’enfant.

La Commission, qui avait en 1991 émis des réserves sur la reconnaissance de cette pratique dans le Code civil, souscrit à ce postulat considérant les avancées réalisées en la matière du point de vue médical et les développements judiciaires. De l’avis de la Commission, la finalité qui doit être recherchée est celle d’assurer à l’enfant et à la femme ou la personne qui accepte de donner naissance à ce dernier, le respect des droits qui leur sont reconnus par la Charte. Pour la femme ou la personne qui a accepté de donner naissance à un enfant, citons le droit à la vie, à l’intégrité et à la liberté de la personne, le droit à la sauvegarde de sa dignité, le droit au respect de sa vie privée et le droit à l’égalité. Pour l’enfant né d’un tel projet parental, mentionnons entre autres son droit à la protection, à la sécurité et à l’attention que ses parents ou les personnes qui en tiennent lieu peuvent lui donner.

Les règles d’encadrement de la gestation pour autrui proposées par le projet de loi poursuivent, de l’avis de la Commission, cette finalité en regard des droits de la Charte.

Sur un autre sujet, la Commission estime important de souligner l’avancée en droit québécois que représenterait la reconnaissance des effets de la violence familiale dans le droit commun, particulièrement sur les droits des femmes et des enfants qui en sont les principales victimes. Les actes de violence familiale constituent incontestablement des atteintes graves à plusieurs droits de la Charte, dont les droits fondamentaux.

La Commission tient à cet égard à saluer la proposition d’ajout au Code civil prévoyant que l’autorité parentale s’exerce « sans violence aucune ». Cependant, l’expression « sans violence aucune » soulève quelques questions, notamment quant à l’interprétation qui en sera donnée par les acteurs du système judiciaire et aux impacts que pourrait avoir un libellé aussi large. Par exemple, on peut se demander si la notion introduite engloberait l’ensemble des formes de violence prévues par la Loi sur le divorce, tels que les abus sexuels, l’exploitation financière et les comportements coercitifs et dominants.

Dans cette même perspective, la Commission estime nécessaire de vous faire part d’autres préoccupations concernant les différentes façons de qualifier la violence dans le projet de loi. En effet, la disposition relative au consentement aux soins du Code civil ainsi que l’article lié à l’interrogatoire et contre-interrogatoire des victimes du Code de procédure civile réfèrent à la « violence familiale ou sexuelle » alors que d’autres modifications proposées au Code civil visent uniquement la « violence familiale ». De telle sorte que lorsque le terme « violence familiale » est employé il n’est pas clair si cela inclut d’autres formes de violence, dont la violence sexuelle.

À ce sujet, à l’instar du Comité d’experts sur l’accompagnement des personnes victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale, la Commission estime que la violence conjugale devrait être nommée explicitement dans le Code civil et le Code de procédure civile. En effet, l’inclusion du terme « violence conjugale » assurerait une prise en compte, en contexte de litige familial, de l’impact de cette violence sur les enfants et le parent victimisé.

Sur un autre thème, la Commission est hautement préoccupée des graves répercussions que pourraient avoir les modifications proposées aux mentions de sexe ou de genre dans les actes de l’état civil sur la réalisation de plusieurs droits des personnes trans, non binaires et intersexes inscrits dans la Charte. Elle déplore par ailleurs que les présentes consultations se tiennent alors que des personnes qui interviennent n’ont pu prendre connaissance des amendements annoncés par le ministre de la Justice et ne pourront se prononcer sur ceux-ci. Cela dit, elle applaudit la proposition qui vise à reconnaitre l’identification de genre non binaire. Il s’agirait d’une avancée majeure pour les personnes concernées.

Précisément, la Commission s’oppose à toutes modifications qui auraient pour effet de dévoiler le fait qu’une personne est trans à toutes les personnes auxquelles elle devrait présenter son acte de naissance ou un certificat d’état civil. C’est ce qu’elle appréhende par l’ajout d’une mention de l’identité de genre distincte de celle de la mention de sexe dans l’acte de naissance. Le dévoilement forcé, qui pourrait résulter de la non-concordance de ces mentions entre elles, porterait atteinte aux droits à la vie privée, à la dignité et à l’égalité des personnes trans qui sont tous garantis par la Charte. Ajoutons que la non-concordance entre les documents d’identité et son identité de genre affecte la réalisation des droits économiques et sociaux des personnes trans et non binaires, eux aussi garantis par la Charte. Comme l’écrit le juge Moore dans la décision Centre de lutte contre l’oppression des genres, le fait de devoir présenter des pièces d’identité révélant leur modalité de genre amène des personnes trans et non binaires à se retirer de situations pouvant les exposer à la violence et à la discrimination, comme l’inscription dans un établissement scolaire, la recherche d’emploi et la demande de soins de santé.

Concernant les dispositions proposées relativement à l’ajout ou au changement d’une mention de l’identité de genre pour les personnes mineures de 14 ans et plus, la Commission est contre le maintien de l’exigence de fournir une lettre d’une personne appartenant à une profession désignée attestant que le changement est approprié. En 2015, la Commission avait déjà estimé qu’une telle condition est problématique parce qu’elle contredit le mouvement de dépathologisation de la transidentité. Elle serait également en décalage par rapport à l’autonomie reconnue aux enfants de 14 ans et plus pour prendre des décisions les concernant et ayant de plus grandes implications qu’un changement administratif, notablement en matière de soins.

La Commission s’objecte catégoriquement au retour proposé de l’exigence de subir des traitements médicaux et des interventions chirurgicales pour obtenir un changement de la mention du sexe apparaissant sur l’acte de naissance. Son retrait en 2015 répondait à des recommandations formulées par la Commission en 2007, 2012 et 2013. La Commission avait alors démontré qu’une telle condition constituait une atteinte discriminatoire aux droits des personnes trans à l’intégrité, à la reconnaissance de leur personnalité juridique, à la dignité et au respect de leur vie privée.

La Commission craint aussi les effets potentiels sur l’exercice des droits des personnes intersexes de la possibilité d’indiquer à l’acte de naissance que le sexe est indéterminé. Une telle mention dévoilerait qu’une personne est intersexe, portant ainsi atteinte au droit au respect de sa vie privée, et l’exposerait potentiellement à la discrimination. De plus, l’obligation de modifier la mention « indéterminée » dès qu’il serait possible pour un médecin d’assigner un sexe s’ajouterait à la pression médicale et sociale à la « normalisation » des organes génitaux des personnes intersexes. Les droits à l’intégrité, à la dignité, à la vie privée et à l’égalité des personnes intersexes pourraient s’en trouver sérieusement compromis.

Ces commentaires conduisent à se demander si le potentiel d’atteintes aux droits, notamment à la vie privée et à l’égalité, que recèlent les mentions de sexe et d’identité de genre sur les actes de l’état civil est véritablement justifié par leurs avantages pour la réalisation d’autres droits ou d’autres considérations d’intérêt public, comme l’identification des personnes ou la prestation de services adaptés en fonction du sexe. À ce propos, la Commission a insisté à de nombreuses reprises sur l’importance de la collecte de données liées à des motifs interdits de discrimination, dont font partie le sexe et l’identité de genre. En effet, ces données sont indispensables pour évaluer les effets potentiellement discriminatoires de politiques et prévoir des mesures correctrices au besoin. Elle a néanmoins précisé qu’une telle collecte doit viser la mise en œuvre du droit à l’égalité et ne doit donc pas créer ou accroître la discrimination ou les préjugés visant les groupes marginalisés. Elle doit également se faire conformément à l’ensemble des droits inscrits dans la Charte, notamment le droit au respect de la vie privée. Des données sur le sexe et le genre pourraient ainsi être recueillies dans le respect de la Charte, sans qu’il ne soit toutefois nécessaire de faire figurer ces informations sur les actes de l’état civil ou d’autres documents d’identité, comme le suggèrent les Principes de Jogjakarta plus 10 définissant des normes juridiques internationales relatives à ces questions.

En terminant, la Commission tient à saluer les efforts importants consentis pour réviser la terminologie genrée employée dans plus d’une trentaine de lois. Dans la foulée, le législateur pourrait considérer inclure la Charte dans cet exercice de révision terminologique.

Nous vous remercions de votre attention.


Notes préparées à la Direction de la recherche par :

Samuel Blouin, chercheur
Me Karina Montminy, conseillère juridique
Me Evelyne Pedneault, conseillère juridique
Me Yolaine Williams, conseillère juridique


Liens connexes : 
Mémoire sur le Projet de loi n° 2, Loi portant sur la réforme du droit de la famille
Communiqué |  Mieux reconnaitre l’enfant comme titulaire de droits