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28 avril 2022Lettres et allocutions

Notes de présentation sur les recours en matière de harcèlement sexuel et d’agressions à caractère sexuel au travail

Voici les notes pour la présentation de la Commission devant le Comité d’expertes en matière de harcèlement sexuel et d’agressions à caractère sexuel au travail, le 26 avril 2022.

Mesdames,

Je suis Philippe-André Tessier, président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Je suis accompagné de Myrlande Pierre, vice-présidente, responsable du mandat Charte, de Me Martin Dufour et Me Karina Montminy, tous deux conseillers juridiques à la Commission.

Je tiens d’abord à rappeler que la Commission a pour mission d’assurer le respect et la promotion des principes énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne. Elle assure aussi la protection de l’intérêt de l’enfant, ainsi que le respect et la promotion des droits qui lui sont reconnus par la Loi sur la protection de la jeunesse. Elle veille également à l’application de la Loi sur l’égalité en emploi dans des organismes publics.

Depuis bientôt 45 ans, la Commission travaille à enrayer la discrimination et le harcèlement, qui sont des pratiques interdites par la Charte. Elle a, de ce fait, développé une expertise des dimensions sociales et juridiques du harcèlement sexuel, notamment lorsqu’il a lieu en milieu de travail.

Au cours des dernières années, au Québec comme ailleurs dans le monde, un mouvement sans précédent a mis en lumière la persistance de la violence à caractère sexuel non dénoncée par les victimes, incluant le harcèlement sexuel. Celle-ci est subie dans différents contextes, le milieu de travail n’en est pas exempt. Cette prise de conscience a mené le gouvernement à mettre en place plusieurs initiatives visant à renforcer la protection des personnes victimes de violences à caractère sexuel, incluant des mesures de nature législative. La Commission participe activement, par différents moyens, à alimenter la réflexion à cet égard dans une perspective de droits de la personne. Elle contribue de même à mettre à œuvre les initiatives proposées.

Aujourd’hui, dans le cadre des travaux du Comité et conformément au souhait exprimé, nous traiterons de la compétence de la Commission en matière de harcèlement sexuel et nous vous ferons part des solutions qui doivent selon nous être priorisées pour contrer plus efficacement le phénomène en emploi.

À travers ses travaux, la Commission a relevé que les victimes de violences à caractère sexuel, quel que soit le milieu où celles-ci se déroulent, dénoncent peu les situations vécues. Le niveau de complexité auquel doivent faire face les victimes de harcèlement sexuel au travail dans la détermination des avenues les plus avantageuses pour elles, constitue un obstacle majeur à l’exercice des recours. Bien que la jurisprudence soit venue clarifier au fil du temps les compétences des différentes instances en cette matière, il est difficile pour les victimes de s’y retrouver lorsqu’elles veulent porter plainte.

Afin d’apporter un éclairage à cet égard, nous estimons essentiel de mettre en exergue les contours de la compétence de la Commission en matière de harcèlement et d’expliquer en détail le fonctionnement du processus de traitement des plaintes dont elle est responsable en vertu de la Charte. Cet exposé rendra nécessaire de faire état des conséquences qu’ont eues les principaux changements en droit de l’emploi et du travail depuis les vingt (20) dernières années sur le traitement des plaintes de harcèlement déposées à la Commission.

Depuis 1976, la Commission a, en vertu de cette loi, la responsabilité de faire enquête pour recevoir les plaintes qui lui sont adressées sur toute situation qui lui paraît constituer un cas de discrimination en emploi. La Charte prévoit spécifiquement que nul ne peut exercer de discrimination dans l’embauche, l’apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d’une personne ainsi que dans l’établissement de catégories ou de classifications d’emploi. Elle consacre par ailleurs le droit à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique.

C’est à partir de 1982 que la responsabilité en enquête de la Commission vise explicitement les situations de harcèlement fondé sur l’un des motifs de la Charte, dont le sexe et l’orientation sexuelle. C’est à cette date que la Charte a été modifiée afin de prévoir que nul ne doit harceler une personne en raison de l’un des motifs visés dans l’article 10.

La plainte de harcèlement est traitée conformément au processus de traitement des plaintes défini à la Charte. Celui-ci présente certaines caractéristiques qui méritent d’être rappelées. D’emblée, mentionnons qu’il s’agit d’un processus qui n’est pas public. La plainte peut être déposée par toute personne qui se croit victime d’une violation des droits dans de telles situations ou qui peut être portée, pour le compte de la victime ou d’un groupe de victimes, par un organisme voué à la défense des droits et libertés de la personne ou au bien-être d’un groupement. Dans ce cas, le consentement écrit de la victime ou des victimes est nécessaire.

La plainte doit être déposée dans un délai de trois ans après le dernier fait pertinent qui y est rapporté. Elle doit être faite par écrit et être signée.

Sur réception de la plainte, il y aura alors ouverture d’un dossier par un technicien ou une technicienne à l’accueil et à la recevabilité. Les informations sur la plainte sont recueillies auprès de la personne plaignante afin de permettre à la Commission de déterminer si, à première vue, elle a compétence pour intervenir. Il y a ainsi une analyse au cas par cas qui tient compte notamment des autres recours disponibles pour la victime. Par exemple, dans les situations de harcèlement, la Commission s’enquiert si celle-ci a déposé une plainte à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après CNESST).

Si la Commission est d’avis qu’elle n’a pas la compétence pour intervenir, par exemple s’il s’agit d’une situation relevant de la compétence fédérale, elle dirige la victime vers l’organisme qui peut lui venir en aide.

Dans le domaine du travail, la Commission n’a pas compétence lorsque la victime a subi une lésion professionnelle en raison du harcèlement sexuel vécu. Rappelons à ce sujet que les arrêts Béliveau St-Jacques et Genest, rendus respectivement par la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel du Québec à la fin des années 1990, ont clairement établi qu’une personne salariée ne peut poursuivre son employeur ni un co-employé pour la réparation de son préjudice en exerçant un recours en vertu de la Charte, et ce, en raison de l’application de l’immunité prévue la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Aussi, la Commission n’a pas compétence pour traiter la plainte de la part de la victime de harcèlement sexuel ou autrement discriminatoire si elle est syndiquée. Les arrêts Morin et Parry Sound, rendus par la Cour suprême au début des années 2000, ont reconnu une compétence exclusive à l’arbitre de griefs pour interpréter et appliquer la convention collective. Comme les droits et libertés protégés par la Charte font partie intégrante de toutes les conventions collectives, c’est l’arbitre qui est compétent pour entendre le grief de la personne salariée qui est victime de harcèlement au travail. Encore récemment, la Cour suprême est venue réaffirmer ces principes dans l’arrêt Horrocks.

Lorsque la Commission a la compétence pour intervenir, le dossier est transféré à la première phase de l’enquête, l’évaluation de la plainte. Un conseiller ou une conseillère à l’évaluation contacte alors la personne pour clarifier le contenu de la plainte et s’assurer que tous les éléments pertinents sont présents.

Il se peut aussi qu’à cette étape, la Commission décide de ne pas intervenir et ce, pour différentes raisons. En fait, la Commission doit refuser d’agir pour la victime si celle-ci choisit d’exercer, pour les mêmes faits que ceux qui lui sont soumis, un recours fondé sur l’article 49 de la Charte devant un tribunal de droit commun, soit à la Cour du Québec ou à la Cour supérieure, pour être indemnisée pour le préjudice subi. Le texte et l’esprit de l’article 77 de la Charte n’autorisent pas la Commission à traiter la plainte. Comme l’expliquait la Cour supérieure dans l’affaire Centre d’hébergement et de soins de longue durée Champlain — Manoir de Verdun, cette interprétation vaut, peu importe le dénouement du recours. Elle concluait que le législateur ne veut certes pas que la Commission soit la voie d’une seconde chance pour celui qui aurait échoué, par ailleurs, dans l’exercice de sa demande entreprise en vertu de l’article 49.

Aussi, la Commission a, selon ce qui est prévu à l’article 77 de la Charte, le pouvoir de refuser ou de cesser d’agir lorsque, pour les mêmes faits, la personne plaignante a exercé un autre recours. Il s’agit principalement de recours prévus dans d’autres lois, dont ceux inscrits à la Loi sur les normes du travail, notamment la plainte en harcèlement psychologique et la plainte en congédiement sans cause juste et suffisante. Nous estimons important d’attirer votre attention sur le fait que la Commission n’exerce pas sa discrétion de refuser d’agir en faveur de la victime, à l’étape de l’ouverture ou de l’évaluation de la plainte, du seul fait que cette dernière aurait déposé, pour les mêmes faits, une plainte pour harcèlement psychologique à la Commission de l’équité, des normes, de la santé et de la sécurité au travail.

Il faut plutôt retenir que la Commission cesse d’agir pour la victime dès lors que cette dernière l’informe que sa plainte en harcèlement psychologique a été déférée par la CNESST au Tribunal administratif du travail. La Commission a adopté l’an dernier une directive pour encadrer son obligation et sa discrétion dans laquelle elle identifie les principes soutenant sa décision de cesser d’agir pour la victime dans certaines situations. Ceux-ci sont les suivants : le caractère non exclusif du recours en discrimination auprès de la Commission et du Tribunal des droits de la personne ; l’existence de recours concurrents à celui prévu par la Charte, dont celui en matière de harcèlement psychologique ; le caractère impératif pour les tribunaux administratifs et judiciaires d’appliquer et de faire respecter les droits prévus par la Charte ainsi que le fait que la multiplication des recours ne favorise pas une saine administration de la justice et une utilisation judicieuse des ressources. Ajoutons également à cela la règle voulant qu’il ne doive pas y avoir une double indemnisation pour un même préjudice.

En revanche, dans les situations où la plainte n’a pas été déférée au Tribunal administratif du travail par la CNESST, la Commission poursuit son intervention puisqu’elle n’est pas liée par la décision de la CNESST. Par exemple, il peut arriver que les faits allégués ne soient pas exactement les mêmes et que la situation dénoncée paraisse constituer un cas de discrimination fondée sur l’un des motifs prévus à l’article 10 de la Charte en raison du traitement différencié dans les conditions de travail.

Ajoutons que le délai pour porter plainte à la CNESST en cas de harcèlement psychologique est de 2 ans depuis la modification apportée à la Loi sur les normes du travail. Dans la mesure où la CNESST refuse la plainte au motif que ce délai est dépassé, la Commission pourrait ainsi poursuivre son intervention.

Lorsque la Commission donne suite au traitement de la plainte, la Commission vérifie l’intérêt des deux parties à régler le dossier à l’amiable par un processus de médiation. Si les deux parties acceptent d’aller en médiation, le dossier est transféré au service de la médiation. La médiation peut mener à la conclusion d’une entente, laquelle peut par exemple consister en des excuses, en une compensation financière ou encore en des engagements particuliers tels que des activités de sensibilisation auprès des membres du personnel dans le milieu de travail.

Si les parties ne parviennent pas à une entente ou si elles refusent la médiation, le dossier est transféré à la direction des enquêtes. L’enquête de nature administrative est menée de façon non contradictoire en vue d’établir les faits par la recherche d’éléments de preuve, notamment par la prise de témoignages et la collecte de documents. L’objectif est de vérifier si la plainte est appuyée par une preuve suffisante. Lorsque la recherche des éléments pertinents est complétée, un exposé des faits est soumis aux parties, lequel s’accompagne d’une invitation à le commenter. Puis, un rapport d’enquête est soumis au Comité des plaintes, composé de trois membres de la Commission, qui voit à décider si la Commission continue ou cesse d’agir pour la victime.

Lorsque le Comité des plaintes considère que la preuve est suffisante pour appuyer la plainte, des mesures de redressement peuvent être proposées par la Commission, telle que la cessation des actes reprochés, le paiement d’une indemnité pour les dommages matériels ou moraux subis ou le paiement de dommages-intérêts punitifs. Lorsque les mesures proposées ne sont pas mises en œuvre, la Commission peut saisir un tribunal, notamment le Tribunal des droits de la personne, qui est spécialisé en matière de discrimination, de harcèlement et d’exploitation. À cette étape, la Commission agit en faveur de la victime et à ce titre, la représente devant le tribunal. Spécifions que le tribunal a le pouvoir d’ordonner toute mesure nécessaire à la cessation de l’atteinte illicite à un droit ou à une liberté protégé par la Charte, ainsi qu’à la réparation du préjudice moral et matériel qui en résulte.

Ayant maintenant à l’esprit la façon dont fonctionne le traitement des plaintes et l’impact des autres recours existant dans le domaine du travail, nous estimons pertinent de brosser un bref portrait des dossiers de plaintes de harcèlement en emploi traités à la Commission depuis les 20 dernières années. Déjà en 2003, le nombre de dossiers de plaintes de harcèlement sexuel traités en harcèlement avait diminué de moitié, soit 85 dossiers ouverts, comparativement à l’année 1990. Ce nombre a diminué à nouveau de moitié à partir de 2004, pour passer à 40 dossiers ouverts. De 2006 à 2015, la Commission a traité en moyenne 16 dossiers de plaintes pour harcèlement sexuel par année. Depuis 2015, la moyenne est passée à 9 dossiers par année. L’année 2021-2022 représente un creux historique avec seulement 6 dossiers de plaintes ouverts pour harcèlement sexuel. On constate donc que la tendance à la baisse se maintient.

Nos données de 2015 à 2022 montrent que 75 % des dossiers en harcèlement fondé sur le motif sexe concernent le secteur du travail. Les modifications apportées à la Loi sur les normes du travail en 2018 ne semblent pas avoir eu d’incidence sur le nombre de dossiers ouverts à la Commission en harcèlement sexuel au travail. Malgré le nombre peu élevé de dossiers traités, on remarque néanmoins que les inégalités de genre inhérentes à la division sexuelle du travail demeurent au cœur des situations de harcèlement sexuel. De plus, les dossiers de plaintes de harcèlement en emploi concernent essentiellement les secteurs d’emploi fortement homogènes, dont les emplois traditionnellement réservés aux femmes et associés aux représentations sociales stéréotypées sexuées du travail, tels que serveuses dans un restaurant ou un bar, vendeuses, secrétaires ou des secteurs d’emploi traditionnellement réservés aux hommes et associés aux stéréotypes masculins tels que la vente de voitures, la construction et l’industrie manufacturière.

Rappelons qu’en 2015, la Commission qui avait observé la tendance à la baisse des dossiers de plaintes ouverts pour harcèlement sexuel, s’est inquiétée du fait que les décisions rendues en cette matière par d’autres instances ne s’appuyaient plus sur les critères établis par la jurisprudence développée en matière de droit à l’égalité et de droits fondamentaux. La Commission avait donc estimé nécessaire de rappeler que les normes véhiculées par la Charte sont quasi constitutionnelles, c’est-à-dire qu’elles doivent prévaloir sur les considérations traitées par d’autres législations. Elle avait ainsi fait valoir que lorsque d’autres instances traitent des cas de harcèlement sexuel selon leur juridiction, elles sont tenues de prendre en compte les droits prévus par la Charte, comme le droit au respect de sa dignité et le droit à l’égalité.

Dans cette visée, la Commission a soutenu en 2018, à l’occasion des consultations parlementaires sur le projet de loi no 176, qu’il fallait prioritairement renforcer la capacité de toutes les personnes appelées à intervenir dans le processus de plaintes de harcèlement psychologique, de la recevabilité d’une plainte au traitement judiciaire, à appliquer les droits inscrits dans la Charte. Elle estimait que cela était d’autant plus nécessaire considérant que la Cour suprême venait de confirmer que le Tribunal administratif du travail devait appliquer la Charte lorsqu’il rendait une décision qui relève de sa compétence. De façon complémentaire, la Commission soulignait que la victime de harcèlement ne doit pas être privée de la possibilité de faire reconnaitre ses droits et d’obtenir réparation pour les atteintes à ceux-ci. Une des façons d’y parvenir consisterait à mettre en place des mécanismes de collaboration efficaces et pérennes entre les deux organismes de défense des droits des travailleuses et travailleurs au Québec, soit la CNESST et la Commission, afin d’accentuer la cohérence de leur action.

L’adoption de ce projet de loi a institué l’obligation pour ces deux organismes de conclure une entente afin de prévoir leurs modalités de collaboration. Ainsi, depuis juin 2019, une entente de collaboration concernant leurs interventions en matière de harcèlement est en vigueur. Celle-ci a permis de clarifier leur collaboration à différentes étapes du processus du traitement des plaintes, notamment afin de s’assurer que la personne plaignante soit informée, par tout moyen jugé approprié, des différents recours qui peuvent s’offrir à elle en matière de discrimination et de harcèlement au travail, en vertu de la Charte et de la LNT.

Mentionnons que près de trois ans après son entrée en vigueur, la Commission évalue positivement les retombées de cette entente. Elle estime que les répercussions de cette collaboration ne doivent pas être uniquement évaluées en fonction du mécanisme de transfert des plaintes sur consentement du salarié, comme prévu à l’article 123.6 de la LNT. La valeur de l’entente est plus grande : il s’agit d’un outil de communication entre les deux organismes, et ce, à différents niveaux du traitement des plaintes. Plus encore, elle vient concrétiser l’échange de données sur les plaintes de harcèlement et le partage de nos expertises. L’engagement que comporte l’entente d’offrir des séances d’information aux personnes qui interviennent dans le cadre du traitement des plaintes à la CNESST contribue à mieux les informer sur les notions de discrimination et de harcèlement au sens de la Charte. À titre illustratif, des séances d’informations ont été offertes aux avocates et avocats des services juridiques ainsi qu’auprès du personnel responsable de l’accueil des plaintes. D’autre part, la CNESST transmet à la Commission, une fois par an, des données relatives aux plaintes déposées qui paraissent constituer du harcèlement psychologique comportant une conduite à caractère discriminatoire. Enfin, l’entente prévoit un mécanisme de révision. Nous sommes d’ailleurs en train de procéder à la révision de l’entente de concert avec la CNESST. Un des objectifs des travaux vise à mieux documenter ce phénomène.

Dans le même objectif de renforcer l’application de la Charte, la Commission a recommandé, l’an dernier, dans son mémoire portant sur le projet de loi n° 59, Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail, de référer nommément à la violence à caractère sexuel dans la disposition prescrivant l’obligation de l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection de la travailleuse et du travailleur exposé sur les lieux de travail à une situation de violence proposée à la Loi sur la santé et sécurité au travail. Du point de vue de la Commission, il s’agissait d’une occasion toute désignée de renforcer les responsabilités de l’employeur en vue d’éliminer des risques psychosociaux liés aux violences à caractère sexuel, incluant le harcèlement sexuel. Cette recommandation a été suivie.

Toujours dans cet esprit de s’assurer de l’application des droits de la Charte, la Commission, qui avait participé aux travaux du Comité d’analyse du cadre légal en matière de harcèlement sexuel, institué par l’organisme Action travail des femmes, dans le cadre du projet « Maintien et droits des travailleuses dans le secteur de la construction. Intervenir pour contrer le harcèlement, les violences discriminatoires et systémiques », a interpelé le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, en octobre 2020. Reconnaissant l’importance de la sensibilisation des décideurs, la Commission lui signifiait son intérêt à ce que son expertise soit mise à profit pour former les arbitres en fonction et en devenir en matière de harcèlement sexuel et discriminatoire au travail, tel que le recommandait le comité. Une telle initiative n’a pas encore vu le jour, mais notons que ma collègue, ici présente, a fait une présentation, en novembre dernier, lors du congrès de la Conférence des arbitres du Québec, intitulée : La Charte des droits et libertés de la personne, sa prise en compte, comme rempart pour contrer la discrimination en milieu de travail.

Dans la dernière partie de notre témoignage, nous partageons avec vous des solutions que la Commission a mises de l’avant au fil des ans pour lutter efficacement contre le harcèlement sexuel en emploi. Certaines de ces solutions ont déjà fait leurs preuves alors que d’autres restent à implanter.

La prévention constitue l’un des moyens les plus appropriés pour lutter contre toute forme de harcèlement, qu’il soit qualifié de psychologique ou discriminatoire. Un des moyens institués en 2004 pour y parvenir est celui de l’obligation imposée par la Loi sur les normes du travail aux employeurs d’adopter une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes. La Commission continue à être d’avis qu’il faudrait que la politique nomme explicitement au harcèlement discriminatoire. Cela permettrait de mieux tenir compte des particularités de celui-ci lors de l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique. Cette solution nécessiterait une modification à la Loi sur les normes du travail.

De façon complémentaire, il faudrait sensibiliser l’ensemble des employeurs québécois qui doivent se doter d’une telle politique aux éléments distinctifs qui existent entre le harcèlement psychologique et celui de type discriminatoire. Pour assurer aux personnes salariées une meilleure protection dans leur milieu de travail en matière de harcèlement, les politiques doivent être très claires sur les différentes situations qui sont visées par celles-ci ainsi que sur les mécanismes de traitement des plaintes.

En corolaire, la Commission juge que des campagnes de prévention et de sensibilisation sur les droits et les mécanismes de plainte pour les victimes, destinées à toute personne qui travaille, devraient être déployées dans l’ensemble du Québec. Malgré les initiatives mises en place plus récemment pour renforcer la confiance des victimes envers les processus de plainte et d’aide, il faut intensifier le message pour mettre fin à la banalisation des violences sexuelles, lesquelles incluent le harcèlement sexuel. La banalisation des violences à caractère sexuel est encore répandue dans le monde du travail et a pour effet de minimiser le harcèlement et de faire en sorte que les victimes n’identifient pas toujours le harcèlement. En effet, dans certains milieux, les normes dominantes des activités ou interactions définies comme acceptables ont pour effet de minimiser le harcèlement sexuel et de le traiter comme un problème de sensibilité féminine ou de réaction exagérée à des blagues. Aussi, les dynamiques de travail qui instituent des stéréotypes sexuels dans certains métiers ou milieux de travail favorisent l’acceptation du harcèlement.

Il est par ailleurs incontournable de renforcer de la compréhension de toute personne impliquée dans le traitement des situations de harcèlement sur le concept de harcèlement sexuel au sens de la Charte, notamment dans le domaine de la santé et des services sociaux ou de la sécurité publique, par des activités de sensibilisation et de formation, et ce, afin qu’elles soient en mesure de mieux reconnaitre les pratiques discriminatoires. En effet, en dépit des avancées quant à la compréhension et à la reconnaissance de la violence sexuelle et des différentes formes qu’elle prend, notamment par les tribunaux et dans les différentes législations existantes, le harcèlement sexuel n’est généralement pas compris comme étant une forme de discrimination et de violence sexuelle envers les femmes en emploi. Il n’est pas davantage perçu comme un acte de domination et un abus de pouvoir, notamment économique.

Ajoutons comme perspective à cette problématique que le harcèlement est souvent transversal à d’autres problématiques de discrimination. Par exemple, le harcèlement sexuel affecte de manière particulière les femmes qui sont concernées par un motif de discrimination prévu à l’article 10 de la Charte : les femmes immigrantes, les femmes aînées, les femmes jeunes, les femmes racisées, les femmes lesbiennes, les femmes trans, les femmes handicapées ou les femmes autochtones.

De plus, le harcèlement sexuel n’est pas non plus entendu comme incluant le harcèlement sexiste, c’est-à-dire les attitudes, des comportements ou des pratiques qui reflètent de l’animosité, qui visent à provoquer des sanctions non méritées à l’égard de la victime, à lui imposer des conditions ou des fardeaux additionnels. Autrement dit, on perd de vue que le harcèlement qui, même sans caractère sexuel, peut engendrer un milieu de travail hostile et abusif pour les femmes.

La Commission juge que l’éducation aux droits et libertés de la personne, lors de la formation initiale ou de la formation continue, est un moyen important de lutter contre toute forme de violence, incluant le harcèlement. Par exemple, la formation doit viser à faire comprendre les préjugés, attitudes et comportements sexistes qui caractérisent le harcèlement sexuel comme des processus sociaux et historiques sexistes, racistes ou homophobes, selon les situations, et comme des problématiques systémiques et individuelles.

On occulte aussi le fait que les rapports de force inégaux sont attribuables autant à l’organisation sexuée et genrée du marché du travail qu’aux dynamiques de domination et d’oppressions à l’œuvre dans nos sociétés. Cette occultation devrait donner à penser que le harcèlement sexuel est lié aux rapports hiérarchiques au sein des organisations alors qu’il peut survenir entre collègues de travail ou avec toute personne avec qui la travailleuse ou le travailleur doit interagir dans son travail. En fait, le harcèlement sexuel crée un milieu hostile qui a pour effet d’isoler et vulnérabiliser les femmes en leur rappelant soit qu’elles ne sont pas à leur place dans ce milieu, soit qu’elles sont fragiles et que c’est à leurs risques et périls qu’elles intègrent le milieu.

La Commission considère en ce sens qu’il est primordial de poursuivre les efforts pour déconstruire les stéréotypes sexistes dans une perspective systémique. Cela signifie de questionner l’ensemble de l’organisation sexuée du marché du travail et de miser sur des actions qui visent à encourager la mixité professionnelle dans certains secteurs d’emploi ainsi que dans les cursus scolaires qui y mènent, notamment dans les milieux de travail particulièrement homogènes.

Soulignons que plusieurs actions de la Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes concourent à cet objectif. La Commission encourage cette approche adoptée par le Secrétariat à la Condition féminine en vue du renouvèlement de la stratégie qui repose sur la concertation et la collaboration entre ministères et organismes institutionnels et communautaires qui œuvrent sur le terrain. Mentionnons que la Commission participe aux travaux amorcés à cette fin.

Enfin, la Commission est d’avis que des mesures visant à adapter le système de justice aux réalités des femmes, des groupes de personnes racisées, des personnes autochtones, en particulier des femmes autochtones, des personnes vulnérables ou marginalisées sont porteuses dans la lutte contre le harcèlement sexuel. Le prisme de l’intersectionnalité permet en ce sens d’appréhender les manières dont les interactions entre les différentes dimensions de l’identité sociale (race, couleur, origine ethnique ou nationale, identité de genre, orientation sexuelle, âge, statut d’immigration, classe sociale, religion…) et les dynamiques d’oppression et de domination (sexisme, racisme, classisme, colonialisme, etc.) construisent des rapports sociaux et des rapports de pouvoir inégalitaires et façonnent les représentations sociales et les expériences des femmes. À titre d’exemple, depuis 2018, la Commission participe au Forum sociojudiciaire autochtone. Elle collabore à la mise en œuvre de la mesure d’information juridique. Elle est d’avis qu’offrir des mesures d’information juridique efficaces, qui tiennent compte des particularités propres aux Premières Nations et aux Inuit, est central dans l’accès à la justice.

En conclusion, nous souhaitons réitérer notre collaboration pour tout aspect que vous jugerez utile à la réalisation de vos travaux.


Analyse, recherche et rédaction :

MMartin Dufour, conseiller juridique
Direction des affaires juridiques

Me Karina Montminy, conseillère juridique
Direction de la recherche


Collaboration à l’analyse, recherche et rédaction :

Mathieu Forcier, chercheur
Direction de la recherche