Lettre au Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques
Le 12 mai 2020
Monsieur Pierre Baril
Gestionnaire de l’Équipe dédiée au chantier règlementaire de la modernisation du régime d’autorisation environnementale
Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques
900, boulevard René-Lévesque Est, bureau 800
Québec (Québec) G1R 2B7
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Objet : Commentaires concernant le projet de Règlement sur l’encadrement d’activités en fonction de leur impact sur l’environnement
Monsieur,
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a pour mission d’assurer le respect et la promotion des principes énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne [1]. Elle assure aussi la protection de l’intérêt de l’enfant, ainsi que le respect et la promotion des droits qui lui sont reconnus par la Loi sur la protection de la jeunesse [2]. Elle veille également à l’application de la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics [3].
En vertu du mandat qui lui incombe, la Commission a analysé le projet de Règlement sur l’encadrement d’activités en fonction de leur impact sur l’environnement publié dans la Gazette officielle du 19 février 2020. Le gouvernement y propose des changements importants à la réglementation en matière d’autorisation ministérielle pour des activités pouvant avoir des impacts environnementaux [4]. Le projet de règlement propose de soustraire plusieurs types d’activités à l’obligation d’obtenir une autorisation ministérielle. D’autres activités seraient désormais soumises à la procédure simplifiée de la déclaration de conformité.
La Commission est préoccupée par les conséquences que la réglementation proposée, notamment les exemptions, pourrait avoir sur plusieurs droits protégés par la Charte, soit le droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité (art. 46.1), qui est intimement lié au droit à la vie, à la sûreté et à l’intégrité (art. 1) [5], au droit au respect de sa vie privée (art. 5) [6], au droit à la jouissance paisible de ses biens (art. 6) [7], au droit à l’égalité (art. 10) [8], ainsi qu’au droit à l’information (art. 44).
La Commission rappelle qu’elle recommandait dès 1979, l’inclusion du droit à un environnement sain à l’article 1 de la Charte, compte tenu de son importance pour les droits à la vie et à la santé [9]. À ce sujet, dans le cadre de son bilan des 25 ans de Charte, affirmait que « [l]e “droit à la santé” suppose qu’existent aussi des conditions environnementales permettant de jouir du meilleur état de santé susceptible d’être atteint » [10].
De plus, comme elle le mentionnait dans ses Commentaires sur le 6e rapport quinquennal de la Commission d’accès à l’information, la Commission considère que le droit à l’information est prérequis à l’exercice du droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la diversité [11].
Comme le reconnaissent la Déclaration de Rio [12] et la Convention d’Aarhus [13], la participation du public aux décisions qui affectent l’environnement est centrale à la protection et l’exercice des droits environnementaux. Pour assurer une participation effective, les individus doivent avoir accès aux informations permettant de juger de l’impact environnemental d’une activité ou d’un projet. Conséquemment, les obstacles dans l’exercice du droit à l’information environnementale peuvent engendrer des atteintes au droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité et aux droits qui y sont intimement liés.
De fait, la Commission se questionne sur les impacts que pourraient avoir les multiples exemptions proposées par le projet de règlement, sur l’exercice du droit à l’information environnementale.
La Loi sur la qualité de l’environnement prévoit que des informations relatives aux activités qui font l’objet d’une autorisation ministérielle ou d’une déclaration de conformité sont publiées sur un registre [14]. Les activités exemptées quant à elles, ne se retrouveraient pas sur ce registre. Comme nous l’avons exprimé l’an dernier, dans une allocution publique, un « principe de transparence qui favoriserait l’accès aux informations relatives à l’environnement faciliterait donc grandement la mise en œuvre d’un droit à un environnement sain et respectueux de la biodiversité » [15]. Les exemptions de publicité qui pourraient résulter du projet de règlement nous semblent contraires à ce principe.
De plus, la Commission se questionne spécifiquement sur les effets que pourrait avoir l’article 5 du projet de règlement, qui s’appliquerait à des projets qui impliqueront plusieurs activités. La Commission se demande si la liste des activités exemptées ou soumises à la déclaration de conformité [16] sera suffisante pour permettre au public d’avoir une véritable vue d’ensemble du projet. Sans cette information, une participation effective du public est difficilement assurée. Or, comme mentionné, une telle participation est centrale à l’exercice du droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la diversité.
De plus, en vertu de cette disposition, un projet d’envergure, dont la somme des activités pourrait avoir un ou plusieurs impacts sur l’environnement, ne sera pas évalué en fonction des impacts cumulatifs des activités qui le composent. Chaque activité devra être évaluée et autorisée individuellement. La Commission s’inquiète des atteintes aux droits fondamentaux qui pourraient découler de ces projets sans que celles-ci ne soient évaluées.
Les droits à la vie, la sûreté et l’intégrité peuvent être mis en péril par des accidents industriels, la pollution toxique et les désastres qui découlent des changements climatiques [17]. Par ailleurs, lorsque des activités industrielles ont des impacts sur la qualité de l’air, des sols ou produisent des bruits importants, cela peut avoir un impact sur les droits au respect de la vie privée et à la libre jouissance des biens. Il est donc nécessaire de s’assurer que le morcèlement proposé par l’article 5 du projet de règlement n’empêche pas de réellement d’envisager les risques que pose le projet.
Plusieurs groupes protégés par des motifs interdits de discrimination sont plus susceptibles de subir les impacts négatifs et les atteintes aux droits qui découlent de la dégradation environnementale. On pense par exemple aux personnes en situation de pauvreté, aux personnes en situation de handicap et aux personnes autochtones [18].
De plus, la Commission rappelle les engagements pris par le Québec en vertu de l’article 24 de la Convention relative aux droits de l’enfant :
« Les États parties s'efforcent d'assurer la réalisation intégrale du droit susmentionné et, en particulier, prennent les mesures appropriées pour : … c) Lutter contre la maladie et la malnutrition, y compris dans le cadre de soins de santé primaires, … compte tenu des dangers et des risques de pollution du milieu naturel. » [19] :
À l’instar de la Charte, la Convention protège plusieurs droits susceptibles d’être compromis par la dégradation de l’environnement [20]. Les droits spécifiques de certains groupes d’enfants, comme les enfants handicapés [21] et les enfants autochtones [22], sont particulièrement susceptibles d’être atteints. Les enfants détiennent aussi le droit d’être entendus sur les enjeux qui les affectent [23] et le droit à l’information [24].
La Commission tient donc à souligner l’importance de l’exercice du droit à l’information et de la participation citoyenne dans la protection du droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la diversité et de nombreux droits qui y sont liés. En ce sens, elle espère que la réglementation prévoira des mécanismes de publicité accessibles pour toutes activités susceptibles d’avoir un impact sur l’environnement. De plus, elle encourage le gouvernement à prendre en compte les effets cumulatifs de ces activités.
Nous demeurons à votre disposition pour toute question relative à la présente.
Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de ma considération distinguée.
Le président,
Philippe-André Tessier
[1] RLRQ, c. C-12 (ci-après « Charte »).
[2] RLRQ, c. P-34.1.
[3] RLRQ, c. A-2.01.
[4] Règlement sur l’encadrement d’activités en fonction de leur impact sur l’environnement (projet), (2020) 8 G.O. II, 452 (ci-après « projet de règlement »).
[5] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Commentaires sur le mémoire « Miser sur le développement durable : Avant-projet de loi sur le développement durable et consultation de la population », (Cat. 2.170.3), 2004.
[6] Sophie Thériault et David Robitaille, « Les droits environnementaux dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec : Pistes de réflexion », (2011) 57-2 R. D. McGill 211, 213.
[7] Id., 249.
[8] Sylvie Paquerot, « La portée du droit à un environnement sain : les droits de la personne revus à l’aune de la dégradation de l’environnement planétaire », dans Pierre Bosset et Lucie Lamarche (dir.), Droit de cité pour les droits économiques, sociaux et culturels : la Charte québécoise en chantier, Cowansville, Québec, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 289.
[9] Commission des droits de la personne, Rapport annuel 1979, Éditeur officiel du Québec, 1981, p. 104.
[10] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Après 25 ans, La Charte québécoise des droits et libertés, Volume 1, Bilan et recommandation, 2003, [En ligne]. https://cdpdj.qc.ca/Publications/bilan_charte.pdf
[11] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Commentaires sur le 6e Rapport quinquennal de la Commission d’accès à l’information intitulé « Rétablir l’équilibre – Rapport sur l’application de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé », (Cat. 2.412.42.7), 2017.
[12] Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, Doc. N.U. A/CONF.151/26/REV.1 (Vol. I) (1993) 3, principe 10.
[13] Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, Aarhus, 25 juin 1998, 2161 R.T.N.U. 447, (entrée en vigueur : 30 octobre 2001).
[14] RLRQ c. Q-2, art. 118.5.
[15] Présentation de Philippe-André Tessier, président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, « Oser la transparence et savoir la doser » (panel), La transparence réussie : enjeux et limites, Colloque 2019 de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires, Université Laval, 14 novembre 2019.
[16] Art. 15 para 11 projet de règlement
[17] S. Thériault et D. Robitaille, préc., note 6, p. 237-38.
[18] Id., p. 254-255.
[19] [1992] R.T.C. no 3 et 1577 R.T.N.U. 3, art. 24 2 c) (ci-après « Convention »).
[20] On pense en particulier aux droits à la vie, à la survie et au développement (art. 6 de la Convention), le droit à protection contre les atteintes physiques ou mentales (art. 19 de la Convention), le droit à la santé (art. 24 de la Convention), le droit à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, social et moral, incluant les besoins en alimentation et logement (art. 27 de la Convention). Toutes les décisions qui concernent les enfants doivent être prises dans son meilleur intérêt (art. 3 de la Convention).
[21] Art. 23 Convention.
[22] Art. 30 Convention.
[23] Art. 12 Convention.
[24] Art. 13 Convention.