Passer au contenu principal
Politique de protection des renseignements personnels

Ce site utilise des témoins de navigation afin de vous offrir une expérience optimale.

En savoir plus
A A A

Où souhaitez-vous
partager cette page?

31 janvier 2024Lettres et allocutions

Lettre sur le Projet de loi 42, Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail

Femme qui met sa main pour signaler l'arrêt.
Nadine Shaabana / Unsplash
Dans cette lettre, la Commission salue les modifications proposées par le Projet de loi 42, considérant qu'elles contribueraient à mieux prévenir et combattre les violences à caractère sexuel en milieu de travail. Toutefois, elle souligne l'’importance, pour le projet de loi, de permettre une meilleure prise en compte du caractère discriminatoire du harcèlement sexuel et des autres formes de harcèlement fondés sur un motif de discrimination interdit par la Charte.

Le 25 janvier 2024

Madame Sylvie D’Amours
Présidente
Commission de l’économie et du travail
Hôtel du Parlement
1045, rue des Parlementaires
1er étage, Bureau 1 115
Québec (Québec) G1A 1A4
Sylvie.DAmours.MIRA@assnat.qc.ca

Objet : Projet de loi n42, Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail

Madame la Présidente,

La Charte des droits et libertés de la personne [1] confie à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse [2] la responsabilité de relever les dispositions des lois et des règlements du Québec qui lui seraient contraires et de faire au gouvernement les recommandations appropriées [3]. C’est à ce titre que nous faisons part de nos commentaires sur le projet de loi no 42, Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail [4].

La Commission salue la volonté du gouvernement de donner suite, notamment par le dépôt du présent projet de loi, au rapport du Comité d’expertes chargé d’analyser les recours en matière de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles en milieu de travail (ci-après « le Comité ») [5]. Étant visée par ce dernier, c’est avec grand intérêt qu’elle a pris connaissance des modifications législatives qui y sont proposées. Elle constate que le projet de loi ne propose aucune modification à sa mission et à ses responsabilités. Ainsi, son action en matière de harcèlement demeurerait inchangée.

Rappelons que la Charte interdit le harcèlement [6] fondé sur l’un des 14 motifs de discrimination [7] et prévoit dans ce cas un mécanisme de plainte à la Commission [8]. Cela vise notamment le harcèlement fondé sur le sexe, qui peut prendre la forme de harcèlement sexiste ou de harcèlement à connotation sexuelle. La Commission a compétence pour recevoir des plaintes pour harcèlement discriminatoire dans tous les secteurs, incluant celui du travail. Ce recours fait donc partie de la pluralité de recours possibles pour une personne victime d’une telle pratique en milieu de travail qui souhaite obtenir la cessation de l’atteinte à ses droits et la réparation du préjudice qui en découle.

S’appuyant sur sa vaste expertise en matière de discrimination et de harcèlement, la Commission considère que les modifications proposées par le projet de loi seraient susceptibles de contribuer à mieux prévenir les violences à caractère sexuel en milieu de travail et à favoriser l’exercice de recours pour les victimes. Le respect de plusieurs droits consacrés par la Charte serait par le fait même renforcé, pensons notamment au droit à l’intégrité (art.1), au droit à la sauvegarde de sa dignité (art. 4), au droit au respect de sa vie privée (art. 5), au droit à l’égalité (art.10) et au droit à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique (art. 46).

De plus, en tant qu’organisme œuvrant à la promotion et à la défense des droits des enfants et au respect de leur intérêt [9], la Commission ne peut que saluer la modification qui vise le rehaussement du montant de l’indemnité de revenu d’un enfant ou d’un étudiant considéré comme travailleur, prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [10].

La Commission estime néanmoins pertinent de partager ses réflexions concernant certaines propositions contenues au projet de loi afin d’assurer aux victimes une protection plus complète de leurs droits. Comme l’a souligné le Comité, il est impératif que les droits énoncés à la Charte soient bien pris en compte et protégés, et ce, quel que soit la procédure ou le recours en droit du travail concernés [11].

Le contenu des politiques de prévention et la prise en charge des situations de harcèlement psychologique

La prévention constitue un des moyens les plus efficaces pour lutter contre les différentes formes de harcèlement. Le projet de loi viendrait renforcer la portée de l’obligation de tous les employeurs du Québec à cet égard en prescrivant le contenu minimal de la politique de prévention et de prise en charge des situations de harcèlement psychologique qu’ils doivent adopter conformément à la Loi sur les normes du travail [12].

Pour la Commission, il est essentiel que la politique fasse référence à l’obligation de l’employeur d’agir non seulement sur les risques de harcèlement psychologique à caractère sexuel, mais aussi sur ceux de harcèlement à caractère discriminatoire plus largement [13]. Le modèle de politique de prévention que fournit la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) aux employeurs indique clairement qu’elle vise toute forme de harcèlement discriminatoire fondé sur un des motifs énumérés à la Charte[14]. Il faudrait ainsi que les méthodes et les techniques qui devraient être utilisées par l’employeur pour identifier, contrôler et éliminer les risques de harcèlement en tiennent également compte. Cela permettrait non seulement de s’attaquer au phénomène du harcèlement sexuel, mais aussi à toute autre forme de harcèlement discriminatoire, qu’il soit fondé sur un ou plusieurs motifs dont la « race », l’origine ethnique ou nationale, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre et le handicap.

En effet, pour être en mesure de déterminer les méthodes et les techniques pour identifier, contrôler et éliminer les risques de harcèlement psychologique, incluant les conduites qui se manifestent par des paroles, des actes ou des gestes à caractère sexuel, il est nécessaire de comprendre les causes sous-jacentes à ce type de violence en milieu de travail. Cela commande de procéder à une analyse qui permettrait d’identifier et de corriger les facteurs organisationnels à l’origine des formes de violence, incluant le harcèlement, et de reconnaître la discrimination historique dont sont victimes les groupes protégés par la Charte, notamment le racisme, sexisme, homophobie, transphobie et capacitisme.

Le harcèlement, faut-il le rappeler, est souvent transversal à d’autres problématiques de discrimination. Par exemple, le harcèlement sexuel affecte de manière particulière les femmes qui possèdent une autre des caractéristiques identifiées comme un motif de discrimination à l’article 10 de la Charte : les femmes immigrantes, les femmes jeunes, les femmes aînées, les femmes racisées, les femmes noires, les femmes lesbiennes, les femmes trans, les femmes handicapées ou les femmes autochtones.

De plus, il importe que les victimes soient outillées pour identifier et agir contre toutes les formes de harcèlement. Par exemple, une personne qui est victime de paroles, d’actes ou de gestes racistes répétés de la part de ses collègues ou de ses supérieurs, doit être en mesure de comprendre qu’il s’agit de harcèlement fondé sur la race, l’origine ethnique ou nationale, lequel peut rendre applicable la politique. Ainsi, la politique devrait contenir des informations claires sur les droits et recours disponibles pour obtenir la cession en cas d’atteinte à un des droits protégés par la Charte et la réparation du préjudice subi, y compris le recours à la Commission.

C’est d’ailleurs dans cet esprit que, depuis 2019, la Commission collabore avec la CNESST en vue notamment d’informer les victimes de leurs droits et des recours qui s’offrent à elles en matière de discrimination et de harcèlement au travail [15].

Recommandation

La Commission recommande de modifier l’article 18 du projet de loi afin que la politique de prévention et de prise en charge des situations de harcèlement psychologique réfère nommément au harcèlement à caractère discriminatoire et à ses manifestations. La politique devrait prévoir des informations claires sur le harcèlement psychologique à caractère discriminatoire ainsi que sur les droits et recours disponibles pour obtenir la cession en cas d’atteinte à un des droits protégés par la Charte des droits et libertés de la personne et la réparation du préjudice subi, y compris le recours à la Commission.

En lien avec ce même sujet, la Commission applaudit la proposition d’intégrer la politique de prévention et de prise en charge des situations de harcèlement psychologique au programme de prévention ou au plan d’action que l’employeur doit appliquer en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail [16]. Elle se réjouit aussi de la précision apportée relativement aux risques liés à la violence à caractère sexuel. Ceux-ci feraient désormais partie des risques psychosociaux que l’employeur devrait identifier afin d’éliminer à la source les dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique et psychique des travailleuses et travailleurs.

La formation des arbitres et des juges du Tribunal administratif du travail (TAT)

L’introduction dans le Code du travail [17] d’une obligation de suivre une formation sur les violences à caractère sexuel pour les arbitres traitant des griefs en matière de harcèlement psychologique devrait participer à mieux les sensibiliser aux réalités que vivent des personnes syndiquées, particulièrement les femmes qui en sont principalement l’objet. Aussi, une telle formation contribuerait à contrer leur banalisation en prenant davantage en compte le rôle des stéréotypes et des rapports de pouvoirs attribuables autant à l’organisation sexuée et genrée du marché du travail qu’aux dynamiques de domination et d’oppressions à l’œuvre dans la société de façon plus large.

À plusieurs occasions, la Commission a fait valoir qu’il est nécessaire d’adopter des mesures qui visent à enrayer les préjugés en lien avec les violences à caractère sexuel chez les acteurs du système judiciaire et à les aider à mieux reconnaître les pratiques discriminatoires [18]. L’éducation aux droits et libertés de la personne est un moyen important de lutter contre toute forme de violence, incluant la violence à caractère sexuel et celle à caractère discriminatoire.

Ainsi, les conditions qui seraient déterminées par le ministre conformément à ce que prévoit l’article 1 du projet de loi devraient l’être de façon à tenir compte des droits et libertés de Charte et des manifestations du harcèlement discriminatoire. La Commission demeurera attentive à cette question lorsque le projet de règlement sera publié.

Dans cette même perspective, l’annonce par le ministre du Travail de la création d’une équipe spécialisée en matière de violence à caractère sexuel au sein du TAT est la bienvenue puis qu’elle devrait favoriser une meilleure confiance de la part des victimes envers le système judiciaire.

Toujours dans le souci de s’assurer que les victimes bénéficient d’un égal traitement dans le système judiciaire, la Commission est d’avis que la formation obligatoire des arbitres de grief ainsi que celle des juges qui composeraient l’équipe spécialisée en matière de violence à caractère sexuel, devrait comprendre une composante dédiée aux principes consacrés par la Charte. Il faut, par tous les moyens, renforcer la capacité de toutes les personnes appelées à intervenir dans le processus judiciaire à appliquer les droits qui y sont inscrits. Cela est d’autant plus nécessaire considérant qu’il y a maintenant plusieurs années que la Cour suprême a confirmé que le TAT doit appliquer la Charte lorsqu’il rend une décision qui relève de sa compétence [19].

L’intervention de la Commission au Tribunal administratif du travail

La Commission regrette que le législateur n’ait pas profité de l’occasion pour donner suite à la recommandation 2 du Comité, laquelle vise la modification de l’article 47 des Règles de preuve et de procédure du TAT de façon à prévoir explicitement la possibilité pour la Commission d’intervenir dans des affaires traitant de harcèlement sexuel et d’agressions à caractère sexuel. Le Comité motivait cette recommandation en notant que « [l]a CDPDJ dispose d’une expertise singulière en matière de droits de la personne qui n’est pas mise à profit dans le cadre des litiges devant le TAT » [20]. Considérant sa mission d’assurer, par toutes les mesures appropriées, la promotion et le respect des principes contenus à la Charte et son pouvoir d’agir dans l’intérêt public, la Commission continuera, nonobstant l’absence de disposition qui le prévoit expressément dans la loi, à formuler des demandes d’intervention au TAT lorsqu’elle jugera que son expertise doit être mise à profit.

En espérant que ces commentaires pourront éclairer vos réflexions dans la poursuite des travaux en cours, et ce, en vue d’accroître la protection de l’ensemble des personnes contre les violences à caractère sexuel et discriminatoire dans les milieux de travail.

Veuillez agréer, Madame la Présidente, l’expression de nos sentiments distingués.

Le Président,
Philippe-André Tessier

c.c.
Nathalie Belhumeur, secrétaire de la Commission
cet@assnat.qc.ca

Jean Boulet, ministre du Travail
ministre@travail.gouv.qc.ca

[1] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C -12 (ci-après « Charte »).

[2] Ci-après « Commission ».

[3] Charte, art. 71 al. 1 et al. 2 (6).

[4] Projet de loi no 42, Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail, (présentation – 23 novembre 2023), 1re sess., 43e légis. (Qc) (ci-après « projet de loi n° 42 »).

[5] Gouvernement du Québec, Rapport final : Mettre fin au harcèlement sexuel dans le cadre du travail : se donner les moyens pour agir, Rachel Cox, Dalia Gesualdi-Fecteau et Anne-Marie Laflamme, 2023. [En ligne]. https://www.travail.gouv.qc.ca/fileadmin/fichiers/Documents/Harcelement_psy_sexuel/RA_final-recours-harcelement-sexuel-au-travail_MTRAV.pdf

[6] Charte, art. 10.1.

[7] Les 14 motifs sont les suivants : race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

[8] Charte, art. 71 al. 2 (1).

[9] Charte, art. 57.

[10] Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A -3 001.

[11] Gouvernement du Québec, préc. note 5, p. V et 307.

[12] Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1,1, art. 81.19.

[13] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Mémoire sur le projet de loi n° 176, Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail, (Cat. 2.412.86.5), 2018.

[14] Voir : https://www.cnesst.gouv.qc.ca/fr/organisation/documentation/formulaires-publications/modele-politique-en-matiere-harcelement

[15] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, Entente de collaboration concernant les interventions en matière de harcèlement, 2019, art. 1.1 et 1.2, [En ligne]. http://www.cdpdj.qc.ca/Publications/entente_CNESSTCDPDJ_harcelement.pdf

[16] Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ, c. S-2.1.

[17] Code du travail, RLRQ, c. C-27.

[18] Voir notamment : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Mémoire au Comité d’experts sur l’accompagnement des personnes victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale, (Cat. 2.120-16.5), 2020,

[19] Québec (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) c. Caron, 2018 CSC 3.

[20] Gouvernement du Québec, préc. note 5, p. 58.


Liens connexes :
Communiqué sur le Projet de loi 42
Lettre sur le Projet de loi 42 en format PDF